Rue des Beaux-Arts n° 72 – Juillet/Août/Septembre 2020
L'histoire est jolie, elle a surtout pour intérêt d'inscrire la
question de l'image peinte dans la problématique du réversible,
comme si tout portrait, pour fidèle qu'il fût, ne pouvait chez
Wilde que supposer quelque mystère ou quelque ruse. On ne
représente pas impunément, et toujours point un secret, voire
un danger de mort dès qu'il est question de peinture et de
pinceaux.
Par ailleurs, l'œuvre de Wilde est une gigantesque galerie de
portraits, étrangement mise en abyme dans le chapitre XI de
Dorian Gray. Wilde y décrit Dorian devant les portraits
inquiétants de ses ancêtres, qui pour être travaillés de
l'intérieur, exercent sur leur descendant un pouvoir de
suggestion qui confine à la hantise. Wilde se souvient ici très
certainement de Pater et de sa description de la Joconde dans le
chapitre « Leonardo da Vinci » de The Renaissance ; aux yeux de
Pater, ce portrait est moins une toile qu'un palimpseste, moins
une surface qu'une profondeur :
It is a beauty wrought out from within upon the flesh, the
deposit, little cell by cell, of strange thoughts and fantastic
reveries and exquisite passions. 1
Toutefois, si la Joconde est séduisante, les portraits que regarde
Dorian ne suscitent pas une rêverie éblouie, à l'exception de
celui de sa mère avec qui il entretient une relation identificatoire
(« He had got from her his beauty, and his passion for the beauty
1
Walter Pater, The Renaissance, Fontana Classics, Glasgow, 1975, p. 122.
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