Montréal pour Enfants vol. 24 n°4 / La rentrée 2024 | Page 8

Vois-tu ce que je vois , petit bonhomme ?
Nancy Doyon suggère plutôt aux parents de laisser les enfants nommer leurs besoins avant d ’ y répondre . Le chercheur et professeur George M . Tarabulsy , de l ’ École de psychologie de l ’ Université Laval , précise cependant que , bien avant d ’ identifier ce qu ’ il veut vraiment , l ’ enfant , par ses balbutiements , tente de se faire entendre et d ’ agir sur ce qui l ’ entoure – ou d ’ interagir avec le parent . La démarche se poursuit ensuite à travers le plaisir que prend le parent à éveiller l ’ intérêt de l ’ enfant sur ce qui se passe autour d ’ eux et à partager cela avec lui , évoque ce professeur de psychologie : « Le parent qui s ’ installe devant son enfant et lui parle , qu ’ il lui dise : “ As-tu entendu parler de ce qui est arrivé aujourd ’ hui à Québec ?” ou bien “ As-tu vu le beau papillon que je viens de voir passer ?”, c ’ est le même parent . »
Bien sûr , l ’ affirmation de l ’ enfant ne se développe pas que par le monologue du parent . La professeure et chercheuse retraitée en éducation de l ’ UQTR Rollande Deslandes explique que ces moments de partage attentifs multiplient aussi les occasions de susciter le positionnement de l ’ enfant , en y amenant quelques nuances au besoin – un type d ’ interaction qu ’ elle a pu observer chez sa petite-fille : « Je regardais la maman . Elle lui expliquait tout ce qu ’ elle faisait , et lorsqu ’ elle lui demandait de faire quelque chose , elle ajoutait : “ Penses-tu que c ’ est une bonne idée ?”. Si l ’ enfant ne répondait pas correctement , elle l ’ aidait à trouver une meilleure réponse . »
Par ses questions , rectifications et confidences , le parent devient donc ce que George Tarabulsy appelle « le premier grand organisateur » : une sorte de guide qui aide l ’ enfant à traverser ce monde où il est bombardé d ’ information et où il tente de tracer sa zone de confort . Jean-Pascal Lemelin précise que ce « bombardement » ne vient pas que de l ’ extérieur . Avant l ’ âge de 2 ou 3 ans , l ’ enfant ne détient pas encore les outils nécessaires pour se réguler par lui-même . L ’ encadrement du parent et les questions qui aident l ’ enfant à cerner , puis à maîtriser ce qu ’ il ressent jouent donc pour lui un rôle essentiel : « Lorsque nos capacités d ’ autorégulation sont bien développées , ou optimales , nous sommes capables , dans une situation donnée , de gérer temporairement ce ressenti , le temps d ’ arriver à émettre une opinion , de se prononcer d ’ une façon socialement acceptable , même si nous sommes un peu en colère . »
S ’ affirmer , un mot à la fois
Pour un enfant qui peine à s ’ affirmer , l ’ idée de dévoiler ainsi sa vision des choses devant un groupe qui ne la partage pas forcément peut néanmoins représenter une épreuve bien terrible . Jean-Pascal Lemelin croit toutefois que si les parents laissent la timidité guider leur enfant plus introverti , sa crainte de se prononcer risque de s ’ amplifier . Il ne s ’ agit pas pour autant , nuance-t-il , de minimiser l ’ angoisse de l ’ enfant : « Ce que l ’ on veut , c ’ est qu ’ il puisse dire comment il se sent dans une situation donnée . S ’ il y arrive , il est en train de s ’ affirmer . »
Déjà , verbaliser cette angoisse constitue un dévoilement auquel plusieurs ne parviennent pas . Nancy Doyon remarque que certains enfants ne sont même pas conscients qu ’ ils pourraient défendre leur avis ou leurs intérêts . L ’ intervention de l ’ adulte doit alors commencer par cette prise de conscience : « Admettons que mon enfant joue avec la petite voisine qui
8 psychologie www . montrealpourenfants . com