Montréal pour Enfants vol. 22 n°6 / Hiver 2022 | Page 28

L ’ impératif de plaire
Pourtant une chose est certaine déjà , aux yeux des chercheurs : les enfants qui plaident que « Tout le monde en a ! » à propos du dernier accessoire à la mode expriment souvent une crainte réelle du rejet . Et la cause de la tenue vestimentaire comme source d ’ exclusion ou de dénigrement n ’ est pas illusoire puisque , d ’ après les recherches recensées par Sarah Benmoyal , la tenue vestimentaire apparaît parmi les principaux motifs d ’ insultes .
Madame Benmoyal mentionne que des commentaires à l ’ intérieur d ’ un groupe , à l ’ encontre de tout ce qui , dans l ’ apparence , ne correspond pas au style auquel le groupe prétend adhérer , s ’ ajoutent à ces insultes directes : « Donc , la conséquence ultime n ’ est pas forcément l ’ intimidation . On n ’ est pas nécessairement harcelé quand on n ’ a pas la bonne marque , le bon produit , ou la bonne culture de consommation , mais on peut être rejeté du groupe . On peut subir de petites moqueries . On peut se sentir différent . Certains vont mieux le vivre que d ’ autres . Ce n ’ est pas tout le monde qui en souffre autant . »
Il arrive toutefois que des jeunes ne veuillent pas se plier à cette norme ou n ’ y parviennent pas , par manque de sensibilité sociale ou de moyens financiers . L ’ interprétation plus spontanée de Célia , sur les élèves qui divergent du standard , semble cependant inverser ces causes et ces conséquences . Elle ne croit pas que le manque de conformité puisse empêcher les affiliations , mais c ’ est plutôt le fait de ne pas avoir les habiletés suffisantes pour se faire des amis qui limite l ’ accès à des pairs dont on pourrait imiter le style : « Ce que je vois , c ’ est que les gens qui ne sont pas habillés comme d ’ autres qui leur ressemblent ne sont pas entourés de personnes , comme un grand groupe d ’ amis . Parce que ceux qui ont un grand groupe d ’ amis peuvent voir différentes façons de s ’ habiller et , généralement , c ’ est très similaire à l ’ intérieur d ’ un même groupe d ’ amis . »
Cette présomption d ’ une incapacité et d ’ une certaine solitude constitue alors deux éléments pouvant rendre ces jeunes plus vulnérables aux attaques d ’ un potentiel harceleur .
Une identité multifactorielle
De façon générale , toutefois , Jihen Ben Arbia soutient que les jeunes se « socialisent » à la consommation plus tôt que les générations qui les ont précédés . Elle définit cette socialisation comme une reconnaissance des mécanismes publicitaires et des codes que l ’ on tente de leur imposer . Cette vigilance précoce est-elle une bonne chose ? « Il y a donc deux possibilités : soit nous pensons que ces enfants vont réfléchir à leur consommation plus tôt . Mais d ’ autres vont plutôt dire : ‟ Non , ces consommateurs sont à un âge très fragile . Ils sont influencés . Donc , nous allons avoir de mauvais consommateurs plus tard .” Sauf qu ’ il y a différents facteurs qui entrent en jeu », répond la chercheuse .
Les facteurs individuels tels que le sexe , le niveau social , la fragilité de l ’ estime de soi , mais aussi le tempérament comme la propension à plaire ou à imiter de chaque enfant impactent sa tolérance à la pression du groupe . Sarah Benmoyal rappelle toutefois que la personnalité n ’ est pas un vase clos , mais elle-même le fruit de plusieurs influences : « On ne naît pas avec une sensibilité aux marques , mais la société , les médias , nos parents , nos copains vont faire en sorte que notre sensibilité aux marques va se développer d ’ une certaine façon . »
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