Voyez-vous , je possède très peu de photos de mes enfants , désormais adultes . C ’ était les premières années où j ’ élevais seule mes enfants et je devais économiser pour les fournitures et les vêtements pour la rentrée . Acheter les photos scolaires était une dépense supplémentaire que je ne pouvais pas me permettre . De sorte que ce qu ’ il reste aujourd ’ hui de ces précieuses années se résume à quelques rares clichés et à une session hors de prix chez Sears , le photographe officiel du moment . J ’ en étais certes déçue , mais je me consolais en me disant que je donnais l ’ essentiel en plus d ’ avoir la tête et le cœur remplis de souvenirs . Le temps a passé , j ’ ai profité d ’ une situation financière plus enviable et j ’ ai rattrapé le temps perdu . Je me suis procuré un très bel appareil digital semi-professionnel . L ’ ensemble venait dans une sacoche encombrante incluant plusieurs zooms et accessoires . Peu m ’ importait , je traînais cet appareil partout et le flashais à tout moment me fichant pas mal de savoir si cela dérangeait les autres ou non . Je m ’ en moquais éperdument , car combien de magnifiques photos j ’ ai pu faire !
N ’ empêche , les premières années de mes enfants sont quasi inexistantes sur pellicule . J ’ en viens donc à dire : prenez des selfies ! Saisissez chaque instant ! Quel immense privilège .
Au fil des ans , j ’ ai entretenu un rapport amour-haine avec la photo . Il y a eu les photos que j ’ ai rangées à la suite de peines de cœur . Les photos que j ’ ai cherchées parce que leur absence faisait mal . Les photos captées sur mon téléphone et perdues après un bris . Les photos que j ’ ai stockées sur un nuage et toutes celles que j ’ ai ressorties durant la pandémie , encadrées et affichées pour me rappeler que je n ’ étais pas seule .
J ’ en viens donc à redire , prenez des selfies !
D ’ ailleurs , ne sommes-nous pas un peu trop grincheux et réfractaires parce qu ’ on se sent dépassés ? Avons-nous oublié notre jeunesse et notre propre besoin d ’ exister face à l ’ autre ? Laissons de côté un instant le discours ambiant massacrant les selfies et parlons d ’ une évidence : nous n ’ étions pas différents . Nous n ’ avions tout simplement pas de moyens aussi sophistiqués , à notre portée , pratiques et abordables pour se mettre en scène au quotidien si efficacement . Toutefois , certains d ’ entre nous se rappelleront les photomatons de notre adolescence . Ou l ’ oncle qui possédait un projecteur et nous contraignait à visionner dans le noir d ’ interminables diapos de vacances au camping avec les obligatoires commentaires de narration . Que dire des polaroïds qui crachaient des photos se développant presque instantanément sous nos yeux ? Puis est venue l ’ apparition des premières caméras vidéo qui ont produit des heures de film maison captant les activités et dialogues ordinaires d ’ une famille dans le contexte du quotidien – ces mêmes vidéos faisant désormais les frais des plateformes populaires sur Internet .
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