Montréal pour Enfants vol. 21 n°1 / Relâche 2021 | Page 32

Déjà socialisé pour la vie en ligne ?
À cela s ’ ajoute la recommandation généralisée d ’ attendre les 13 ans bien sonnés avant de se lancer dans l ’ aventure des réseaux sociaux . La justification de cette position repose sur le fait que , durant les premières années de la vie , les connexions neuronales se forment .
Le cerveau a alors besoin de se familiariser avec les gestes « en présentiel » qui lui serviront de porte d ’ entrée pour la socialisation . Dre Masi établit un lien entre la consommation virtuelle et l ’ augmentation des troubles anxieux et des difficultés langagières : « On sait que plus les enfants sont exposés tôt et abondamment , plus le développement des relations sociales est amoindri , aussi nous prenons en considération le fait qu ’ il y ait un retard de langage , parce que nous ne développons pas des interactions directes ( et non sur des écrans ), avec des visages humains , comme nous devrions le faire entre 0 et 5 ans . À cet âge , on devrait se former à avoir des relations sociales et de l ’ empathie . Et si cela est remplacé par des écrans , cela n ’ a absolument pas les effets positifs que l ’ on pourrait essayer de nous vendre . » Parmi les effets généralisés à plus long terme , elle inclut aussi la nécessité de simplifier les documents écrits s ’ adressant aux jeunes et aux moins jeunes , depuis déjà quelques décennies .
La professeure et chercheuse à l ’ École de psychoéducation de l ’ Université de Montréal , Linda S . Pagani , évoque une même forme de « sédentarité » sociale devant l ’ écran . Celle-ci limiterait les occasions d ’ essais et erreurs des enfants , particulièrement importantes pour ceux chez qui les habiletés psychosociales et émotionnelles , dont le contrôle de la concentration , de l ’ impulsivité ou de la constance dans l ’ effort , ou la simple aptitude à aborder les autres sont moins développées : « Cela amène une certaine sédentarité dans l ’ approche active qui amène les enfants à dire ‟ Mon nom est Linda , comment vas-tu ?”. Ça fait 30 ans que je suis psychologue . Et aujourd ’ hui , je vois de plus en plus de jeunes patients devant moi qui n ’ ont pas de diagnostic ; mais tout le monde dit qu ’ il y a quelque chose : on se demande si l ’ enfant est autiste ou TDAH , s ’ il est déprimé ou anxieux … Mais je regarde cet enfant et je réalise qu ’ il est seulement vraiment incompétent sur le plan social . »

Déjà socialisé pour la vie en ligne ?

Parmi ces autres savoir-être qui tombent un peu dans le vide , Linda Pagani nomme la difficulté d ’ établir un contact visuel direct ou encore d ’ adopter une posture et un sourire qui contribueraient à rendre les individus plus attrayants et à inspirer la confiance . Elle remarque aussi que les enfants qui prennent l ’ habitude de privilégier l ’ écran comme moyen de communication risquent de perdre de vue la pertinence des efforts de temps et de mobilisation nécessaires pour dépasser les préjugés , les moments plus tranquilles et construire une amitié bien réelle . Pourtant , seuls ces efforts peuvent , à son avis , créer des attachements aptes à franchir les divergences passagères : « Au fond , que font nos amis pour nous ? Un copain , c ’ est quelqu ’ un avec qui on passe du temps , c ’ est quelqu ’ un qui est là lorsqu ’ on ne se sent pas bien . Il nous soulage et il nous accepte pour qui nous sommes . »
Les experts se rejoignent aussi sur l ’ idée que les relations basées avant tout sur des collaborations dans des jeux vidéo de prédilection n ’ ont pas de grandes chances de survie dans la cour d ’ école . De plus , Linda Pagani craint que les jeunes qui ont acquis des compétences à combattre des dragons , durant le confinement , se retrouvent assez peu équipés pour les transférer dans le réel . Et elle en vient donc également à souligner le contraste entre l ’ apparente facilité de riposter en ligne et tout l ’ effort nécessaire
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