Montréal pour Enfants vol. 19 n°1 La relâche 2019 | Page 14
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loisirs et culture
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la dimension humaine ou la sensibilité, la dimension
intelligence peuvent être développées ailleurs. Et
les enfants en retirent ce qu’ils peuvent, chacun à
leur façon, en fonction de là où ils sont rendus dans
leur développement ou leur parcours. Ils ne sont
pas nécessairement tous touchés par les mêmes
choses. Cela ne les rejoint pas forcément tous de
la même façon. Puis, comme parents, on sème
aussi, à notre manière. On amène les enfants à des
perspectives différentes. »
En grandissant, Sofia constate également que ceux
qui, comme elle, ont eu la chance d’être initiés à l’art
forment un avis enrichissant sur ce qu’ils ont vu, ce
qui permet de prolonger le partage de l’émotion:
« J’aime aussi sortir avec mon cousin Gabriel, parce
que si je vais au théâtre avec certaines de mes amies,
dès qu’on va sortir elles vont carrément oublier la
pièce. Avec mon cousin, c’est différent : j’aime parler
avec lui, il a toujours un avis sur les pièces et on
en parle beaucoup, généralement, quand on sort du
théâtre. »
Affirmer ses goûts en tant que parent, c’est accepter
d’entendre les réticences d’un enfant à l’annonce
d’une pièce ou d’une exposition lui rappelant une
autre œuvre qu’il n’a pas aimée ou une sensation qui
ne lui a pas été agréable. Cela peut aussi signifier,
pour Catherine, devoir gérer les compromis, mais
également sensibiliser ses deux jeunes apprenties
musiciennes à l’importance de se mettre à l’écoute
de l’autre jusqu’au bout, avant de décrocher
ou d’émettre un jugement : « Il faut apprendre à
respecter l’art des autres aussi, parce que, et cela,
je le leur dis souvent, quand elles font un récital de
piano, elles veulent que les gens les écoutent. Donc,
elles doivent être respectueuses. Pas seulement de
ce qu’on apprécie : même lorsqu’on n’aime pas ce
que l’on voit. »
Pour grandir, il faut
d’abord s’arrêter
Même si Sofia, Dahlia, Grégoire et ses frères ont
compris que le moment de la rencontre d’une
œuvre est plus propice à l’intériorisation qu’à la
conversation, il n’en reste pas moins qu’au moment
de la rencontre avec l’art, les mères souhaitent
donner le droit à leurs enfants de s’arrêter et de vivre
des émotions différentes. Un droit dont Sofia a su
bénéficier : « Une fois, j’ai vu l’histoire de 3 sœurs.
Il y en avait une qui avait le cancer. À la fin, je crois
qu’elle mourait. En fait, pendant toute l’histoire, elle
racontait comment elle se sentait quand elle avait
peur de se faire opérer, pourquoi elle avait peur.
C’est triste, mais j’aime bien les pièces tristes. Je ne
sais pas pourquoi… j’aime ça pleurer. »
La mère de Sofia croit que ses filles se préparent
ainsi à trouver des pistes d’apaisement qui sauront
les guider lorsque surviendront, dans leur propre
existence, quelques-uns de ces drames que l’on
ne choisit pas. Elle sent d’ailleurs que le fait d’avoir
abordé ce thème a aidé ses neveux, qui ont dû un
jour accepter le décès de leur père, et ses filles, qui
ont alors perdu leur oncle : « On ne s’attendait pas
à cette perte. Mais j’ai l’impression que la question
de comprendre la mort à travers différentes formes
d’art, même si je n’ai pas d’exemple précis, nous
a aidés à nous préparer, d’une certaine façon, et à
adoucir notre peine. »
Mais l’art n’agit pas toujours rapidement sur
l’esprit. Selon Isabelle, à l’heure des commentaires
après une représentation, un long passage par le
silence est souvent nécessaire pour trouver les
mots : « C’est déjà arrivé, après certaines pièces,
que personne ne parle dans l’auto pendant une
bonne demi-heure. Guerre et paix de Tolstoï nous
avait tellement chamboulés et remués que c’était
silence radio dans l’auto. La pièce était longue
pourtant, mais on en aurait repris plus tellement
c’était bien. On en a reparlé après : ‟Est-ce que
tu te souviens que…” C’est eux qui ont entamé la
conversation. » Dahlia se souvient d’ailleurs que
plusieurs des spectacles auxquels elle a assisté ont
mis du temps à faire ce chemin en elle : « Pendant
longtemps, ça va m’arriver d’y penser. Je ne sais
pas laquelle au juste, ça m’arrive souvent. Après
La mère troll et d’autres pièces, je me demande
souvent ce qui serait arrivé si quelqu’un n’avait pas
réagi comme cela. »
Ainsi, les deux mamans interrogées s’entendent
sur le fait qu’il ne s’agit pas que de fournir des
contenus intelligibles pour capter l’imaginaire des
enfants, il faut aussi savoir toucher leur intelligence
avec des mots qui s’adressent directement à eux.
Le défi demeure immense pour remplir cette mission
à une période de la vie de l’enfant où le niveau de
compréhension verbale et conceptuelle évolue si