Mon Village MON VILLAGE | Page 21

Tout tremblant, la voix chevrotante, le malheureux répétait : « fif la frins, fif digoul » Ce n’était qu’après avoir prononcé cette formule magique qu’il était libéré. L’officier lui faisait signe de partir et il ne se faisait pas prier : il descendait de la tribune pour se mêler â la foule non sans jeter un coup d’œil furtif derrière lui comme pour s’assurer qu’ils n’essayaient pas de le rattraper. Voilà comment, pour le besoins d’une politique, des hommes qui étaient naguère de dangereux fellagas se changent subitement en amis de la France ! Au cours de l’après-midi nous avons eu droit à un défilé des vaillants Tirailleurs Algériens ; une manière tonitruante de nous signifier qu’ils étaient toujours présents et qu’ils n’avaient nulle- ment l’intention de quitter notre pays. Un sous-officier levant haut et fier l’étendard sanglant des Tirailleurs ouvrait la marche ; devant lui un mouton déguisé en bélier, la toison immaculée et impeccablement brossée, les sabots et les cornes luisants affublé de l’emblème des Tirailleurs artistement posé sur la croupe. On lui avait même appris à marcher au pas ! On n’avait jamais vu cela, de mémoire d’ovin. Le pauvre animal devait se demander ce qu’il avait à f…(censuré) à arpenter ainsi les rues étroites de Ain-Touta, au milieu de ce vacarme de tambours et de cuivres ;ou,pensait-t-il qu’une fois la fanfaronnade terminée, il finirait peut-être empalé et servi comme méchoui à ces même gradés dont il faisait la fierté. Il ne savait plus à quel vétérinaire se vouer. Juchés sur des véhicules blindés, des officiers en uniformes d’apparat, les galons et les médailles bien mis en évidence, encadraient le défilé, l’air arrogant. Il est vrai que le souvenir des allemands défilant Place de l’Etoile n’était pas si lointain… Et nous les Africains, nous regardions de loin… Messaoud, bélier mascotte du régiment de Tirailleurs : "Non, j'en ai marre, je n'irais pas à cette cérémonie!"” 21