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RENCONTRE
Ce sens de la diplomatie est d’autant
plus nécessaire quand vous êtes coif-
feur pour le festival de Cannes. Une
appréhension particulière quand
vous voyez arriver une star, ou le
professionnalisme l’emporte ?
Cette histoire, à Cannes, est venu
au fil des rencontres, tout à fait par
hasard. Aujourd’hui, les carrières se
construisent différemment : les jeunes
ont envie de tout de suite faire des
photos, des shootings mode, ou de
coiffer des actrices. Pour moi, ça n’a
jamais été une aspiration première. Mais
ça s’est fait ainsi, et j’ai pu bénéficier
de quelques rencontres marquantes.
Avec ces actrices, c’est comme avec les
clientes en salon, on peut combler le
manque de temps par des artifices, mais
rien ne remplace le temps d’exécution.
On peut manifester de l’impatience – la
production en manifeste pour nous –,
mais au contraire il faut apprendre la
patience. De commencer avec Jeanne
Moreau, honnêtement, ça n’était pas
le plus facile. [Sourire] Mais j’ai en
mémoire quelques anecdotes. Quand
j’ai perdu accidentellement de l’acuité
auditive, Jeanne m’a dit : « Oh ben,
vous savez, vous ne perdez pas grand-
chose, au moins vous irez à l’essentiel. »
J’ai trouvé cela assez brutal, avant
de prendre conscience qu’elle avait
entièrement raison. Ma façon de vivre
aujourd’hui confirme son propos ;
quand j’assiste à un dîner, je passe un
bon moment, mais je privilégie une
personne parmi d’autres. Ce qui renforce
la qualité de l’échange, tout compte fait.
La conversation n’est possible qu’à cette
condition-là.
Quel type de relation entretenez-
vous à ces stars ? Des relations de
proximité ?
Non, pas forcément, que ce soit
avec Catherine [Deneuve, ndlr], on se
voit beaucoup au moment des défilés,
mais je garde une certaine distance. La
relation est professionnelle. De même
avec Isabelle [Huppert], on se tutoie,
on s’est toujours tutoyé – alors qu’avec
Catherine ou Jeanne, non – ; de même
avec Jeanne [Balibar], Karin [Viard] ou
Elsa [Zylberstein] mais ça n’empêche de
maintenir cette distance : il me faut me
montrer très respectueux de ce qu’elles
sont. Et puis, rien n’est jamais acquis, il
faut éviter la maladresse. Avec quelqu’un
comme Catherine, à chaque rencontre
j’ai le sentiment d’un jour nouveau.
Ces stars, vous les accueillez
également dans votre salon parisien.
Oui, c’est un salon qui a été
spécialement conçu pour moi [du fait de
sa surdité, ndlr]. J’ai besoin de travailler
dans des conditions différentes. De plus,
ce sont des conditions qui apportent un
certain confort à la clientèle. Nathalie
Baye est venue tout récemment, je la
connais – comme les autres, d’ailleurs –
depuis très longtemps. Et même si
je ne la suis pas tout le temps, nous
échangeons spontanément par messages
électroniques parce qu’elle exprimera
un besoin ou un autre. J’aime l’idée de
construire une relation avec ces actrices,
comme avec toutes les clientes du salon.
Lesquelles bénéficient exactement du
même service que Catherine Deneuve,
Isabelle Huppert, Fanny Ardant et toutes
ces stars que nous évoquons.
Vous avez récemment entamé
une relation soutenue au groupe
Kraemer… Quel regard portez-vous
sur la collaboration ?
Ce que je constate c’est qu’il y a
une possibilité d’affirmer son identité
au sein du groupe, tout en créant
ensemble un service qualitatif. Dans
notre métier, ça s’est malheureusement
beaucoup perdu, ce qui est vraiment
dommage. Partout, on s’installe dans
des codes vestimentaires ou langagiers
qui nous sont imposés par les médias,
la télévision notamment. On sait par
avance où l’on nous conduit, il n’y a rien
de plus désespérant. Je le dis parfois :
surprendre, ça n’est plus si simple,
surtout aujourd’hui. Il nous faut prendre
du recul, et analyser clairement les
situations. On redécouvre une certaine
sensibilité, le besoin de nature par
exemple ou des choses vraies. Or, seule
l’exigence de qualité nous permet
d’échapper à ces codes.
Comment s’y prend-t-on ?
Le métier de la coiffure est un métier
avec lequel on se situe constamment
dans une forme de recherche. Lors du
dernier défilé de Maurizio Galante,
deux collaborateurs du groupe sont
venus coiffer les mannequins, ils
se sont attachés à un univers qu’ils
découvraient : celui de la Haute Couture.
On le sait, c’est en coulisse qu’on
apprend les choses, rien ne remplace
cela, que cela concerne les actrices,
des mannequins ou de simples clientes.
Pour moi, de travailler avec quelqu’un
comme Isabelle Huppert, ça reste une
source de fascination, que ça soit dans
un théâtre ou sur un plateau. Forcément,
ça conserve sa part de mystère. Ces
coulisses évoquent un passé, elles ont
une âme, ce sont des lieux habités qui
nous transforment nous-mêmes en
travaillant. Bien sûr, ces expériences,
je souhaite les partager et participer à
l’émulation collective au sein du groupe.
Tout cela au profit de cette nécessaire
qualité.
Salon Kraemer
3, rue Paul-Louis Courier | Paris, 7 e
01 42 22 04 36