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54 RENCONTRE Ce sens de la diplomatie est d’autant plus nécessaire quand vous êtes coif- feur pour le festival de Cannes. Une appréhension particulière quand vous voyez arriver une star, ou le professionnalisme l’emporte ? Cette histoire, à Cannes, est venu au fil des rencontres, tout à fait par hasard. Aujourd’hui, les carrières se construisent différemment : les jeunes ont envie de tout de suite faire des photos, des shootings mode, ou de coiffer des actrices. Pour moi, ça n’a jamais été une aspiration première. Mais ça s’est fait ainsi, et j’ai pu bénéficier de quelques rencontres marquantes. Avec ces actrices, c’est comme avec les clientes en salon, on peut combler le manque de temps par des artifices, mais rien ne remplace le temps d’exécution. On peut manifester de l’impatience – la production en manifeste pour nous –, mais au contraire il faut apprendre la patience. De commencer avec Jeanne Moreau, honnêtement, ça n’était pas le plus facile. [Sourire] Mais j’ai en mémoire quelques anecdotes. Quand j’ai perdu accidentellement de l’acuité auditive, Jeanne m’a dit : « Oh ben, vous savez, vous ne perdez pas grand- chose, au moins vous irez à l’essentiel. » J’ai trouvé cela assez brutal, avant de prendre conscience qu’elle avait entièrement raison. Ma façon de vivre aujourd’hui confirme son propos ; quand j’assiste à un dîner, je passe un bon moment, mais je privilégie une personne parmi d’autres. Ce qui renforce la qualité de l’échange, tout compte fait. La conversation n’est possible qu’à cette condition-là. Quel type de relation entretenez- vous à ces stars ? Des relations de proximité ? Non, pas forcément, que ce soit avec Catherine [Deneuve, ndlr], on se voit beaucoup au moment des défilés, mais je garde une certaine distance. La relation est professionnelle. De même avec Isabelle [Huppert], on se tutoie, on s’est toujours tutoyé – alors qu’avec Catherine ou Jeanne, non – ; de même avec Jeanne [Balibar], Karin [Viard] ou Elsa [Zylberstein] mais ça n’empêche de maintenir cette distance : il me faut me montrer très respectueux de ce qu’elles sont. Et puis, rien n’est jamais acquis, il faut éviter la maladresse. Avec quelqu’un comme Catherine, à chaque rencontre j’ai le sentiment d’un jour nouveau. Ces stars, vous les accueillez également dans votre salon parisien. Oui, c’est un salon qui a été spécialement conçu pour moi [du fait de sa surdité, ndlr]. J’ai besoin de travailler dans des conditions différentes. De plus, ce sont des conditions qui apportent un certain confort à la clientèle. Nathalie Baye est venue tout récemment, je la connais – comme les autres, d’ailleurs – depuis très longtemps. Et même si je ne la suis pas tout le temps, nous échangeons spontanément par messages électroniques parce qu’elle exprimera un besoin ou un autre. J’aime l’idée de construire une relation avec ces actrices, comme avec toutes les clientes du salon. Lesquelles bénéficient exactement du même service que Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Fanny Ardant et toutes ces stars que nous évoquons. Vous avez récemment entamé une relation soutenue au groupe Kraemer… Quel regard portez-vous sur la collaboration ? Ce que je constate c’est qu’il y a une possibilité d’affirmer son identité au sein du groupe, tout en créant ensemble un service qualitatif. Dans notre métier, ça s’est malheureusement beaucoup perdu, ce qui est vraiment dommage. Partout, on s’installe dans des codes vestimentaires ou langagiers qui nous sont imposés par les médias, la télévision notamment. On sait par avance où l’on nous conduit, il n’y a rien de plus désespérant. Je le dis parfois : surprendre, ça n’est plus si simple, surtout aujourd’hui. Il nous faut prendre du recul, et analyser clairement les situations. On redécouvre une certaine sensibilité, le besoin de nature par exemple ou des choses vraies. Or, seule l’exigence de qualité nous permet d’échapper à ces codes. Comment s’y prend-t-on ? Le métier de la coiffure est un métier avec lequel on se situe constamment dans une forme de recherche. Lors du dernier défilé de Maurizio Galante, deux collaborateurs du groupe sont venus coiffer les mannequins, ils se sont attachés à un univers qu’ils découvraient : celui de la Haute Couture. On le sait, c’est en coulisse qu’on apprend les choses, rien ne remplace cela, que cela concerne les actrices, des mannequins ou de simples clientes. Pour moi, de travailler avec quelqu’un comme Isabelle Huppert, ça reste une source de fascination, que ça soit dans un théâtre ou sur un plateau. Forcément, ça conserve sa part de mystère. Ces coulisses évoquent un passé, elles ont une âme, ce sont des lieux habités qui nous transforment nous-mêmes en travaillant. Bien sûr, ces expériences, je souhaite les partager et participer à l’émulation collective au sein du groupe. Tout cela au profit de cette nécessaire qualité. Salon Kraemer 3, rue Paul-Louis Courier | Paris, 7 e 01 42 22 04 36