Entretien
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Les tribulations d’un
Français et Chinois
en Chine
Les aventures de Yannick Kraemer en Chine
ont débuté en 2004, grâce à l’implication de
Wong Kin Fung, un jeune homme qui a développé
la marque dans le pays. Retour sur le parcours
d’exception de l’actuel directeur général SO’O
Luis Kraemer.
Par Emmanuel Abela
Photos : Chrystel Lux
Comment avez-vous rencontré Yannick Kraemer ? Quelle stratégie avez-vous élaborée en Chine ?
Je suis parti en Chine en 2000 pour une autre société française.
En 2003, mon père [restaurateur à Strasbourg, ndlr] qui avait
discuté avec Yannick Kraemer me demande si je ne veux pas
faire de la coiffure. La restauration, je connaissais, les activités
de négoce, je connaissais aussi, mais la coiffure, non je ne
connaissais pas. Il me dit : « Ne donne pas ta réponse trop
vite. Renseigne-toi, et tu verras ! » Au départ, nous souhaitions ouvrir en propre, mais nous
nous sommes dits qu’il était préférable de racheter les salons
SO’O, auxquels nous avons rajouté le nom de Luis Kraemer.
Nous avons opté pour cette stratégie de pénétration, c’était un
choix important. Si nous nous étions trompés, nous aurions sans
doute échoué. Après, dans nos métiers, ce sont les hommes
qui importent. Pour réussir, il nous fallait trouver les bonnes
personnes. Le concept séduit de bons coiffeurs, des personnes
de grande sensibilité, souvent attachées à exprimer leur créativité
et qui souhaitent évoluer en toute liberté. Généralement, ces
coiffeurs se sentent à l’étroit, en tant que franchisés, et cherchent
à s’émanciper, mais ils se retrouvent seuls, avec toutes les
difficultés qu’on peut supposer. Le concept LK répond à leurs
besoins, en termes de liberté et de créativité. Du coup, ils se
sentent confortés, ce qui facilite les choses.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans la marque ?
Quand vous avez une franchise, vous fixez des règles pour le
franchisé qui les adopte. Avec le concept Luis Kraemer, les choses
fonctionnent à l’inverse : Yannick prône quelque chose de l’ordre
de l’anticonformisme ; il s’oppose à des formes standardisées.
Dans la coiffure, nous sommes en présence d’artistes. Si on les
cadre trop, on se heurte à des difficultés. La finesse, c’est de dé-
velopper un concept fédérateur qui laisse sa place à la création.
La marque est la représentation d’un monde, à destination de la
clientèle, et je trouve que l’idée de permettre à chacun d’exprimer
son univers propre est une idée extraordinaire.
Les pratiques dans le domaine de la coiffure sont très
différentes entre la France et la Chine. On suppose des
échanges fréquents.
Les premiers groupes à s’être installés en Chine, il y a de cela
une quinzaine d’années, étaient anglais. Ils ont considérable-
ment modifié le marché. Les coiffeurs chinois ont été influencés
par le style anglais qui est très carré et géométrique, alors que le
style français, c’est l’affirmation du naturel. Mais le marché évolue
vite, et la création de la LK Academy à Canton, par exemple,
participe à cette stratégie qui vise à faire évoluer les pratiques.
Les coiffeurs reçoivent une formation à l’interne, mais nous ac-
cueillons également les salons concurrents. Ça prend du temps,
il faut travailler, mais c’est payant.
Quelles sont les pistes de développement, à l’avenir ?
Nous étendons nos activités “beauté” et “bien-être”, comme
Yannick Kraemer en France. Nous allons renforcer la présence
de notre marque Luis Kraemer à Canton, avec l’ouverture de
six à dix salons cette année. Une fois que nous avons capté la
structure de développement – le business model –, ça devient
plus facile. Dès lors, on progresse par pallier. Nous tablons sur
une centaine de salons d’ici à trois ans. En 2011, ce sera soit
Shanghai, soit Pékin. Je m’apprête donc à retourner au front…
“La finesse, c'est de développer
un concept fédérateur qui laisse
sa place à la création.”