30
SOCIOLOGIE
“Notre vie n’est qu’une somme
absolument hallucinante de hasards.
Ce sont les circonstances qui
accouchent de nous. ”
David Hockney,
L’arrivée du printemps, 2011
Justement, est-il possible de
s’abstraire de soi ?
Être soi – comme dans l’ouvrage de
Jacques Attali, Devenir soi –, ça ne veut
pas dire grand chose, parce qu’on est
toujours soi. Qu’on soit dans la psychose,
dans la transe ou même dans le meurtre.
Je ne vois pas comment on pourrait
s’abandonner soi-même. Il y a en nous
d’innombrables virtualités pour le meil-
leur ou pour le pire. Devenir soi, c’est
simplement s’ouvrir à la complexité du
monde, aux personnages innombrables
que nous pouvons devenir selon les cir-
constances. C’est cela qui est fascinant
dans la vie de chacun d’entre nous.
Notre vie n’est qu’une somme absolument
hallucinante de hasards. Ce sont les
circonstances qui accouchent de nous.
Tout est toujours possible. Nul ne sait
quel homme ni quelle femme nous serons
dans les journées à venir et c’est un peu ça
aussi la thématique du livre… C’est ce côté
friable de nos identités, cette ambivalence
qui fait qu’à un moment donné on peut
glisser vers les personnalités multiples,
vers le burn-out, vers la dépression – là,
nous ne sommes pas dans des choix, mais
par contre ça relève de l’identité, de notre
inconscient, de notre rapport au monde
tel qu’il est divisé par l’inconscient. Il
y a en nous énormément de choses qui
nous échappent, qu’on ne comprend pas
et qui font que, parfois, effectivement,
on va vers le pire, les yeux ouverts alors
que tous les autres nous alertent sur
les dangers que nous sommes en train
de courir. Nous sommes les seuls à ne
pas les voir. Cette notion d’identité qui
apparaît dans le dernier chapitre de
l’ouvrage, « soi comme fictions », c’est
une réflexion sur cette extraordinaire
complexité qui compose les hommes ou
les femmes que nous sommes.
Le soi est un abime qui contient les mil-
liards de personnages que chacun de nous
aurait pu devenir si les circonstances
avaient été un tout petit peu différentes.
Ne serait-ce que l’Histoire : nous ne choi-
sissons pas l’Histoire dans laquelle nous
sommes plongés malheureusement…
Si nous étions nés en temps de guerre,
en temps de pénurie, si nous avions fait
d’autres rencontres amoureuses parce
que simplement nous aurions ralenti
notre pas avant d’entrer dans le café,
etc., nous aurions vécu différemment,
bien évidemment. On retrouve cela chez
Paul Auster aussi. Tous les romans de
Paul Auster sont absolument obsédés par
cette idée du hasard, ce hasard qui fait
nos vies. Bien sûr, nous sommes aussi les
artisans de ce hasard. Je ne suis pas en
train de dire que notre vie n’est qu’un des-
tin qui n’en finit pas, bien au contraire !
Nous restons les artisans des chances
que nous construisons.