Dans les années 20, Louise Brooks révèle
la femme nouvelle : court coiffée, parfois court
vêtue, enfin libérée de certains tabous. Le modèle
de la garçonne réapparait de manière récurrente
chez les cinéastes français qui, depuis les années 60,
revisitent le message d’émancipation contenu
dans ce carré court.
Qu’est-ce qui fait qu’une coupe de cheveux
s’inscrit ainsi pour l’éternité ? Le carré
court dans les années 20 était courant
– c’était la Belle Époque –, et pourtant
on l’associe immanquablement à une
actrice magnifique : Louise Brooks. Cette
jeune Américaine, connue pour ses rôles
muets, notamment ceux interprétés en
Allemagne sous la direction de Georg Wil-
helm Pabst, Loulou et Le Journal d’une fille
perdue tous deux sortis en 1929, a mar-
qué l’imaginaire de cette époque. La coif-
fure de celle qui se définissait comme une
« blonde aux cheveux noirs » a déclenché
une mode : celle de la « garçonne» (“flap-
pers” en anglais). Après l’avènement des
suffragettes en Angleterre au début du
siècle, la tendance était à l’émancipation
des femmes ; en cela, le carré de Louise
participait à cette volonté des femmes de
marcher à l’égal des hommes, autrement
dit libres, volontaires et pleinement déci-
sionnaires aussi bien en ce qui concerne la
vie professionnelle que la vie privée. Plus
de 30 ans avant les mouvements de libé-
ration des femmes, les films avec Louise
Brooks sortaient des clichés glamour ; ils
racontaient le quotidien de femmes en
but à leur propre destinée, y compris dra-
matique, mais pleinement conscientes de
leur capacité à agir. Ça n’est pas pour rien
que certains de films ont été jugés trop
«adultes», et en cela parfois censurés parce
que traitant de manière directe, pour ne
pas dire crue, les mœurs sexuelles de
l’époque. On le sait, Louise Brooks, actrice
au jeu naturel, a refusé de basculer dans le
parlant de manière immédiate et l’a payé
très cher. Se retrouvant écartée des stu-
dios, elle décide très tôt de retourner chez
elle à Wichita, dans le Kansas.
On ne la redécouvre que dans les années
50 grâce au travail des critiques français.
Henri Langlois, fondateur historique de la
Cinémathèque française ne disait-il pas
d’elle « Il n’y a pas de Garbot ! Il n’y a pas
de Dietrich ! Il n’y a que Louise Brooks ! » ?
Au-delà du fait qu’on reconnaît bien là
l’intransigeance qui annonce la Nouvelle
Vague, on sait que la figure va inspirer à
Jean-Luc Godard deux allusions directes,
dans Vivre sa vie (1962) avec Anna Karina
et naturellement dans Le Mépris (1963)
avec Brigitte Bardot. De manière récur-
rente, le carré court va inspirer d’autres
cinéastes – avec parfois un hommage
double à Louise Brooks, mais aussi à Anna
Karina chez Godard – ; c’est le cas pour
Mauvais Sang (1986) de l’enfant terrible
du cinéma français, Leos Carax. Par la
suite, la figure réapparaît sous les traits
d’Audrey Tautou dans Le Fabuleux Destin
d’Amélie Poulain, avec le succès que l’on
sait. On constate alors que ce carré court
de Louise Brooks, parti des Etats-Unis et
popularisé en Allemagne, traverse la culture
française comme un élément fantasmatique,
relayé de génération en génération, avec
toujours le même message de liberté pour
les femmes et d’affirmation de soi.
Audrey Tautou
C’est sans doute quand on s’y
attend le moins que le modèle
s’impose définitivement : la
France entière s’est reconnue
dans le personnage d'Amélie
Poulain, pourtant affublé de sa
petite dégaine de punkette,
Dr. Martens, jupe longue et carré
court. Comme le titre du film
l’indique, il est question d’un
destin, mais aussi et surtout d’un
choix de vie : faut-il s’occuper
de la vie des autres ? Faut-il
prendre son destin, justement,
en main ? Audrey Tautou, avec
ce carré à la Louise Brook qui lui
adoucit le visage, tarde à prendre
ses décisions, mais elle finit par
franchir le pas en jeune femme
libre.