Luxury Indian Ocean LUXURY INDIAN OCEAN #7 EDITION 2018 | Page 30
DÉCOUVERTES
LES CARTES QUI ONT
DESSINÉ L’OCÉAN INDIEN
La faste période historique des Grandes Découvertes prend source au 15 ème siècle. En quelques
décennies, la vision de l’océan Indien passe d’océan fermé et marginal à celle d’un espace
stratégique, berceau de l’histoire des peuples et lieu de nombreux échanges.
THE MAPS THAT SHAPED THE INDIAN OCEAN – The prosperous historic period of the Great
Discoveries starts in the 15 th century. Within decades, the outlook on the Indian Ocean has gone
from a closed and peripheral ocean to a strategic point that will become the cradle of the history
of various peoples, and the place for numerous trades.
PAR MARINE GRIGORIEFF
En observant les cartes issues de différentes cultures, on découvre le
regard que portaient les civilisations européennes et arabes sur cet
océan mystérieux. Les cartes étaient autrefois un outil aussi précieux
que sacré. Leur création a permis au fil des siècles de découvrir les
richesses de notre monde. Mais que sait-on réellement de l’histoire
de celles qui ont dessiné notre océan ?
Préparer son voyage et survivre dans le vaste
océan (À quoi servaient les cartes ?)
Nous sommes au 18 ème siècle. Le capitaine d’un navire transportant
des marchandises vers l’Isle de France (l’île Maurice d’alors) prépare
sa longue traversée de l’océan Indien. L’un des outils indispensables
à son voyage est... un bout de papier. Une carte. Cet outil sommaire
est essentiel : grâce à lui, il sera à même de trouver son chemin
dans les eaux énigmatiques de l’océan pour atteindre sa destination.
À l’époque, les cartes étaient l’un des seuls repères pour se situer
globalement dans une région, dans l’optique de préparer un voyage.
Une fois près des côtes, trop peu précises, elles n’étaient plus d’aucune
utilité – laissant la place à des hommes « pilotes » qui embarquaient
à bord des bateaux pour les diriger jusqu’à leur destination, grâce à
une connaissance habile des zones côtières.
Les portulans étaient des trésors dont la vie des marins dépendait,
avec comme principale mission la protection en mer. Elles rassuraient
aussi les navigateurs : l’une de leur plus grandes peurs était de voir
surgir un obstacle. Il est d’ailleurs passionnant de constater qu’au-
delà de leur travail de cartographie de l’espace, ces documents étaient
aussi l’empreinte des craintes et impressions des marins. Tout y était
inscrit : un haut fond, une forte houle, un récif, une zone de vents
forts… Derrière ces annotations, un objectif : celui, bienveillant, de
prévenir les futurs marins qui emprunteraient cette route.
« [...] l’or de leur commerce, chez la plupart des capitaines, ne
parvient jamais à effacer tout a fait la mémoire des tempêtes, le
souvenir des morts, des coups de chaleur, des vents qui ont usé les
nerfs. Et encore moins l’effroi qui les a saisis quand, en pleine mer,
à l’improviste, s’est dressé devant leur proue un récif inconnu. [...]
Ensuite, ils n’ont qu’un mot à la bouche : cet écueil, au plus vite, il
faut l’inscrire sur une carte. »
— Irène Frain, Les naufragés de Tromelin, J’ai Lu, 2009, p.25
Malgré leur apport essentiel à la navigation, la précision des cartes
était mauvaise – car relative à l’expérience et aux discernements
approximatifs de leur auteur. C’est pourquoi plusieurs versions
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« officielles » existaient, offrant différentes indications sur la position
des terres. Une grande question accompagnait alors chaque voyage :
quelle carte choisir ?
En 1760, le navire L’Utile échoue sur l’île Tromelin à cause de
l’utilisation de deux cartes contradictoires. Cette île, perdue au
milieu de l’océan Indien, n’était que vaguement indiquée sur l’une
des deux cartes. Situé dans une zone agitée par une forte houle et
sur la route des cyclones, peu de navires passaient à côté de l’îlot
– justifiant son absence sur les anciennes cartes. Le capitaine de
L’Utile, par superstition (mais aussi, peut-être, avec une pointe
d’orgueil), a choisi d’ignorer la nouvelle carte... et s’est finalement
échoué sur cette île. S’en suit une tragédie qui durera 15 ans – mais
c’est une autre histoire.
La représentation de l’océan Indien, chef-d’œuvre
entre légendes et réalité
Au fil des cartes, des siècles, de l’acharnement des marins et de
périples maritimes, c’est devenu certain : l’immense étendue d’eau
salée de plus de 75 millions de km 2 qu’est l’océan Indien, est en fait
le lien entre les continents africain et asiatique.
Selon Ptolémée (né vers 90), astronome et astrologue précurseur
de la géographie, l’océan Indien était une mer close avec le littoral
africain qui penchait vers l’est, rejoignant l’Asie. Une gigantesque
erreur, due aux moyens limités de l’époque, qui s’inscrira sur de
nombreuses cartes. Arrivé au Moyen Âge, cet océan était représenté
comme une succession de golfes, un vaste centre de commerce avec
l’Inde à l’horizon – ce sont les Arabes qui, à cette époque, ouvriront
l’océan vers l’Est. À partir de la Renaissance, la représentation de
l’océan Indien devient plus cohérente. Les Chinois, qui l’appelaient
alors « mer occidentale », vont associer leur savoir avec les navigateurs
occidentaux à partir du 16 ème siècle. L’océan Indien était encore un
mystère, entretenu par les mythes, les légendes et les précieuses
marchandises arrivées en Europe par des itinéraires énigmatiques...
En observant les planisphères du 16 ème siècle, on ne découvre pas
seulement des images consignant des découvertes, mais aussi le
dessein et les aspirations de ses auteurs. Devenues de véritables
objets d’art, les cartes racontent des histoires mélangeant fiction et
réalité comme des toiles de maître.
Les anciennes cartes représentant l’océan Indien étaient loin des
cartes modernes que l’on connaît aujourd’hui. Elles révélaient des îles