HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 - novembre 2020 novembre 2020 | Page 27

Débarcadère et fort de Gorée .
( Dessin de Taylor , d ' après une photographie de Blaise , ou Félix , Bonnevide . Extrait d ' Africa , volume III , par Élisée Reclus [ 1830-1905 ])
J ’ ai causé assez longuement ce soir avec l ’ aumônier de La Caravane . Il m ’ a parlé d ’ une commission qui se réunissait pour réfléchir aux moyens de rendre utile et supportable la condition des aumôniers de vaisseau , pour leur donner quelques garanties contre la tendance irréligieuse de certains commandants . Cela ne me regarde guère , moi qui ne vois dans l ’ univers que mon humble presbytère . Je m ’ en rapporterai complètement à Monseigneur . Qu ’ on se hâte de décider quelque chose définitivement , car , j ’ entends répéter tous les jours que Monseigneur va bientôt expirer , et , en quelles mains son héritage va-t-il tomber ?
31 décembre 1850
Je suis allé hier à Gorée je voulais y voir les malades que nous y avions déposés , à l ’ hôpital , et , accompagné de l ’ aumônier de La Caravane , nous avons rendu visite au curé , à la nouvelle supérieure et au commandant . Malgré toutes mes précautions et ma prudence , j ’ ai eu bien de la peine à échapper aux confidences . Hier , le curé m ’ a pris à part , et m ’ a demandé quand il pourrait me dire quelques mots . Je lui ai répondu que ce serait quand il voudrait , mais comme je ne peux être d ’ avance utile dans cette affaire , que mon conseil ne pouvait avoir aucune influence puisqu ’ il s ’ agit de faits accomplis , pour l ’ appréciation desquels on voudrait seulement me diriger . Je tâcherai de n ’ être jamais seul , de m ’ esquiver , d ’ éviter leur tête à tête , et si j ’ y réussis , pendant deux jours , je serai un homme sauvé . J ’ ai vu hier la nouvelle supérieure , elle parait fort bien . C ’ est une femme de près de cinquante ans , forte , vigoureuse , qui parait spirituelle et fine , avec beaucoup de rondeur dans sa manière de franchise et de fermeté . Je pense qu ’ elle ne peut que gagner à être connue . C ’ est , il me semble un excellent choix dans ces circonstances . L ’ ancienne supérieure est nommée à Lamamach , à Cayenne . Elle a accepté de très bonne grâce , le coup qui l ’ a frappée , quoique peut-être un peu brutal . Elle a très bien reçu la nouvelle supérieure , elle est même allée au débarcadère à sa rencontre , avec deux de ses sœurs , elle lui a remis immédiatement tous les pouvoirs et vit aujourd ’ hui avec elle dans une intelligence parfaite , sans effort au moins apparent , avec un naturel qui détruit complètement , à mes yeux , les reproches qu ’ on lui adressait . C ’ est la meilleure réponse qu ’ elle pouvait faire aux accusations misérables qu ’ on lui intentait . Nous sommes allés aussi au castel . C ’ est la première fois que j ’ y monte . J ’ y ai trouvé une connaissance , un officier de Lorient , dont j ’ avais entendu parler . Un peu morose , bonhomme , un vrai troupier , nous offrant simplement une première fois la pipe , et nous prenant par les épaules pour nous faire avaler , bon gré , mal gré , un verre de quelque chose , de grog ou de bière . Il y a au moins de la cordialité . Et , à mon avis , c ’ est une compensation à une intensité de chaleur . J ’ ai parcouru le castel , il est beaucoup plus grand que je le supposais , et aussi , bien mieux armé . Les hautes murailles de rochers basaltiques sont couronnées d ’ une artillerie assez forte . Les casernes dont on n ’ aperçoit pas même le faîte sont bien construites , leur élévation au-dessus de tous les miasmes doit rendre le séjour bien salubre . On n ’ y loge que les soldats blessés . Du reste , il n ’ y a pas un arbre , que des herbes sèches . À la saison des pluies poussent des fleurs qui forment un jardin . J ’ irai certainement m ’ y promener , quelques fois , le soir quand il fera plus chaud . L ’ air qu ’ on y respire est frais et on y jouit d ’ un horizon magnifique .
1 er janvier 1851
1 ère grande fête aujourd ’ hui . Nous avons reçu , en tant que bâtiment amiral , la visite de tous ces messieurs , nous nous sommes joints à eux pour aller présenter nos hommages au commandant , pour les compliments d ’ usage tout aussi sincères . Nous avions reçu hier l ’ invitation d ’ assister à une messe en musique à bord de La Caravane . J ’ avais été invité à déjeuner avant une heure après midi afin que l ’ aumônier pût faire sa partie . J ’ ai été dédommagé de cette petite fatigue par le plaisir que cette cérémonie m ’ a fait . La musique a bien été . Vraiment , il aurait fallu doubler partout les chœurs . C ’ était un peu maigre . D ’ autant plus que la toile qui nous entourait possédait peu de sonorité . L ’ harmonium de l ’ aumônier accompagnait ; il était tenu par
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