Ce nouveau numéro spécial , qui fait suite à deux autres parus en 2017 et 2018 , clôt une étude entreprise autour du dessèchement des marais de Donges en exposant les deux dernières phases – la quatrième et la cinquième – de cette affaire . La quatrième phase a trait à la plus-value réclamée par la Compagnie de Bray aux « anciens » propriétaires privés ( par opposition aux nouveaux , c ’ est-à-dire aux actionnaires de la Compagnie de Bray ) en compensation des frais engagés par la Compagnie pour le dessèchement dont le résultat est , selon elle , une amélioration substantielle des terres desséchées leur appartenant . L ’ affaire donne d ’ abord lieu à une querelle judiciaire engagée par les anciens propriétaires dans le but d ’ en obtenir la suppression , ou au moins d ’ en retarder l ’ échéance en espérant que l ’ administration prenne des mesures et que la Compagnie fasse des concessions . Les procédures judiciaires engagées tournent à l ’ avantage de la Compagnie aussi l ’ obligation de paiement de la taxe de plus-value s ’ annonce explosive . Mais , en 1853 , l ’ intervention de Napoléon III , qui , sur sa cassette personnelle , accorde 131 000 francs , permet de trouver une solution qui bénéficie aux petits propriétaires ( l ’ empereur acquitte les cotes de plus-value inférieures à 60 francs et les intérêts afférents , les dégrevant totalement de leur dette ), mais également aux propriétaires plus importants ( la Compagnie ayant réduit la durée pendant laquelle les intérêts , sur l ’ ensemble des autres cotes , sont exigibles , ils sont dégrevés d ’ une partie de leur dette ). La cinquième phase ne connaît pas la même issue . Elle porte sur les dommages-intérêts réclamés par la Compagnie de Bray en compensation des dommages qu ’ elle a subis au cours des travaux puis des retards de mise en jouissance des terres dont elle devait être mise en possession au lendemain de la réception des travaux . L ’ affaire portée devant le Conseil d ’ État donne lieu , le 5 juillet 1855 , à un arrêt qui condamne les onze communes concernées à payer la somme de 565 774,14 francs et au paiement des intérêts à compter du 2 mars 1855 . Pour les Briérons , cette décision est inique et disproportionnée au regard des ressources des communes . L ’ administration , qui a le souvenir des émeutes passées , joue la prudence . Mais bientôt sous la pression des actionnaires de la Compagnie qui réclament des mesures et demandent le partage par licitation de la Grande Brière Mottière , proposition sur laquelle se divisent momentanément les communes copropriétaires , la temporisation n ’ est plus tenable . Le ministre de l ’ Intérieur , en 1864 , suscite un compromis selon lequel la Compagnie consent à l ’ abandon des intérêts qu ’ elle est en droit d ’ exiger contre le paiement
Avant-propos
immédiat de la dette . La somme nécessaire serait fournie par un emprunt gagé sur les ressources de la Grande Brière Mottière gérée par la Commission syndicale de Grande Brière Mottière . Mais , les accords passés ne sont pas suivis d ’ effet , et de retard en retard , de nouvel accord en nouvel accord , en 1877 , seule une partie de la dette est soldée . La perte pour les actionnaires est grande , nombre d ’ entre eux se retrouvant ruinés . À cette date , l ’ affaire du dessèchement des marais de Donges s ’ achève : le dessèchement a été mené à son terme , mais ceux qui l ’ ont financé n ’ ont pas tiré les profits qu ’ ils en attendaient . Parmi ces actionnaires , il est intéressant de s ’ attarder sur Louis Henri Desmortiers . Si , de nos jours , l ’ homme est totalement oublié , il a joué un rôle important dans l ’ affaire du dessèchement de Donges . Il s ’ impose d ’ abord par sa position sociale : il est l ’ époux de Zoé Gourlay , et à ce titre l ’ un des principaux actionnaires de la Compagnie de Bray , puis , les terres desséchées ayant été partagées , l ’ un des plus importants propriétaires possessionnés sur les marais de Donges . Mais , surtout , il s ’ impose par ses compétences juridiques ( il est procureur du roi près le tribunal de première instance de la Seine ), son entregent ( il est député ), son activisme et sa détermination . Convaincu d ’ avoir le droit pour lui , il est persuadé que la justice civile ne peut trancher qu ’ en sa faveur et que l ’ administration ne peut qu ’ intervenir fermement en envoyant des troupes au besoin . Rompant avec la pratique de la Compagnie de Bray ( qui dénonce les exactions qu ’ elle subit de la part des Briérons , fait le siège de l ’ administration [ préfecture et ministère ] pour obtenir des mesures énergiques , mais répugne à engager une épreuve de force où elle aurait beaucoup à perdre ), Desmortiers n ’ hésite pas à interpeller préfet et ministre , et surtout , sur le terrain , il engage l ’ épreuve de force . En effet , il fait creuser des douves de clôture des terrains desséchés que son épouse a reçus en partage , ce qui provoque une série d ’ émeutes et , pour rétablir l ’ ordre , l ’ envoi de troupes . Ayant porté l ’ affaire devant les tribunaux civils , il obtient , de la cour d ’ appel de Rennes , des jugements qui lui reconnaissent ( et avec lui à chacun des actionnaires de la Compagnie ) la propriété des terrains desséchés qui lui ont été attribués . En 1836 , le conflit juridique au sujet de la propriété des marais de Donges qui opposait Briérons et Compagnie , puis ses actionnaires , est définitivement tranché en faveur de ces derniers . Puis , l ’ année suivante , l ’ intervention de troupes met fin au tourbage non autorisé sur le marais de la Boulaie . À cette date , 1837 , en droit et sur le terrain , la jouissance de l ’ ensemble des terres desséchées attribuées aux actionnaires de Compagnie de Bray est effective et n ’ est plus contestée .
4 — HISTOIRE & PATRIMOINE - Hors-série n ° 16 - octobre 2023