Gang de Biches Numéro 4 - Mars/Avril 2019 | Page 19

CULTURE MÉDIA - 19  Studio L'intrépide A nna Wintour, Eddie Barclay, Oprah, Ardisson… De la fin des années 80 à nos jours, Preston Whitney, journaliste de charme et de choc, a travaillé (et couché) avec les plus grands… Mais la fortune est souvent cruelle pour ceux qui brillent avec trop d’éclat. Après avoir tenu bon face à des rumeurs (injustifiées) d’abus de stupéfiants, notre héros commence désormais une nouvelle carrière en tant qu’envoyé spécial pour Gang de Biches. Adepte du « journalisme total », sa première mission est à la hauteur de son talent : infiltrer les Gilets Jaunes… Enquête. C’était une grisâtre matinée de samedi dans l’Ouest de la France. Totalement impliqué dans mon personnage, j’avais quitté Saint-Germain la veille et troqué mon blazer Versace pour le célèbre symbole de polyester qui faisait jadis la gloire de Karl Lagerfeld. Désormais, et jusqu’au bout de ma démarche journalistique, on me connaîtrait sous le pseudonyme de Jean-Guy, magasinier chez Jardiland, et fervent opposant à l’oligarchie macroniste. Apercevant au loin un attroupement de camarades manifestants, j’entamais l’infiltration. C’est donc sur ce rond-point de province, à la lueur réconfortante d’un feu de palettes que je faisais la connaissance de mes nouveaux compagnons. Nous y étions, j’entrai en lutte. Si de prime abord, le contact fut teinté d’une certaine défiance (la faute, semble-t-il, à un phrasé trop soutenu de ma part, eu égard à la situation), nos rapports n’allaient pas tarder à devenir des plus cordiaux. C’est ainsi que je faisais la connaissance de Madeleine, aimable militante normande, avec qui j’entrevoyais signes annonciateurs d’une romance, et qui proposait des cafés relevés d’une pointe de Calvados fermier, afin d’affronter le froid mordant et de ragaillardir les cœurs. Tandis que j’enchaînais les cafés-calva, je me sentais chaque minute plus proche de cette France qui se lève avant 10h00 et ignore les tartares d’avocat de l’hôtel Costes. N’ayant pris le volant depuis mes vacances à Monaco en 96, j’étais jusqu’ici perplexe sur cette hausse du carburant qui avait initialement provoqué tout ce courroux. Néanmoins, comme on me le fit judicieusement remarquer, ce détail prenait une signification toute particulière quand on travaille entre Cholet, Poitiers et La Rochelle pour moins de 1300€/mois. Comme quoi, s’éloigner quelques temps de Paris est toujours instructif ! D’ailleurs, alors que j’attaquais mon énième calva-café sous l’œil désormais réprobateur de Madeleine, je sentais poindre en moi les prémices d’un bouillonnement contestataire. Ce sentiment n’allait que croître alors que nous rejoignions le cortège principal des manifestants, suivis de près par les auxiliaires peu avenants de la maréchaussée. Le ton est alors monté crescendo, précédant l’inévitable déchaînement de violence. ZUT ! M’écriais-je. Ignorant les supplications inquiètes de Madeleine, je m’élançais vers les hordes casquées, levant bien haut la bouteille d’alcool de pommes, prêt à en découdre. La suite des évènements est un peu floue… Je m’éveillais en cellule, souffrant d’un très déplaisant mal de crâne. J’ai d’abord cru à une brutalité policière, avant de comprendre que je n’avais nullement été touché, et que j’avais tout simplement chu, ce qui était assez embarrassant… Mais le pire était à venir. Car dans un excès de zèle, emporté par la passion de la révolte, j’avais cru bon de me mettre à nu, comme une ultime bravade à l’encontre de l’autorité étatique. Je n’étais donc à présent vêtu que de mon unique gilet jaune, détail qui provoquait la perplexité de mes comparses de captivité. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, je tombais nez à nez avec une connaissance fâcheuse, mon camarade de classe Nicolas Ducon-Teigneux. Au cours de l’année passée, Nicolas s’était mis à dos une large partie de l’opinion en s’associant à certains courants peu recommandables (pure propagande gauchiste selon ses dires). Il faut dire que, déjà à l’époque, l’intéressé ne rechignait pas à faire siens les faits d’armes des uns et des autres pour s’attirer quelques mérites. Cette manie l’avait finalement gratifié du sobriquet de vil copieur, ou de ramasse-merde pour les plus prosaïques… « J’avais cru bon de me mettre à nu, comme une ultime bravade à l’encontre de l’autorité étatique » Le mouvement des gilets jaunes était donc pour lui l’occasion de redorer son blason, sans grand succès, car il n’avait jamais été aussi impopulaire, particulièrement entre ces murs. Avant que je n’aie pu réagir, le bougre m’apostrophait : « Preston mon ami ! Dieu merci vous êtes là ! J’ai grand besoin d’aide ! ». Cette proximité soudaine n’étant pas du goût de nos codétenus, je sentais l’animosité monter encore d’un cran. Ma couverture était à l’eau, mon reportage également. Les 24 heures qui suivirent furent donc particulièrement glaciales. Tandis que je regagnai la capitale, le corps meurtri et l’esprit tourmenté, je réalisai que l’univers carcéral pourrait faire l’objet d’un article fascinant. 