Gang de Biches Numéro 4 - Mars/Avril 2019 | Page 18
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CULTURE MÉDIA
- Culture média à étaler avec précaution -
ODE À L’INTIMITÉ
ET AU TÉMOIGNAGE
Fanny Anseaume
C
ela ne fait pas si longtemps que les podcasts ont pris
une place notable dans le paysage médiatique. On situe
l’explosion du format à la création de contenu appelés
« natifs », à différencier du « replay » qui est uniquement
la mise à disposition, sur internet, d’émissions radio.
Aidé par des plateformes de diffusion qui centralisent le
contenu disponible (Apple Podcast est dorénavant installé
par défaut sur les téléphones), ce format a vu éclore
un certain nombre d’émissions à vertu intimiste voire
analytique. Semblant n’avoir aucun égal dans le reste du
paysage médiatique, le podcast du témoignage suscite un
réel engouement. Mais pourquoi le format se prête-t-il si
bien à l’intime ?
LE PODCAST ENTRE DANS NOTRE
INTIMITÉ
Vous le connaissez aussi, ce bonheur d’écouter, au calme,
les voix apaisantes des podcasts et vous vous réjouissez
peut-être, comme moi, de toutes ces émissions qui
vous ouvrent les portes de milliers de vies inconnues.
Parallèlement à la musique, le podcast nous fait
redécouvrir le potentiel immersif de l’audio. Sans image,
il nous faut pouvoir écouter le propos pour l’entendre : il
appelle à la tranquillité. Le podcast est d’ailleurs un lieu
de prise de parole plus que de débat : beaucoup des
émissions qui nous intéressent ici donnent entièrement
place au narrateur, sans interruption. La sérénité qui s’en
dégage finit d’ouvrir la porte vers l’intimité de l’auditeur.
Si l’absence d’image dans ce média astreint à l’attention,
elle développe aussi l’imagination. Qu’imagine-t-on
de Martin, qui raconte dans Transfert, ses phobies
d’impulsion ? « Média de l'intime, le podcast est aussi celui
de l'imaginaire. Uniquement guidé par la voix, on compose
ses propres images» 1 . Rien de révolutionnaire dans l’idée,
mais un encouragement à prendre ou reprendre le temps
de s’imaginer. Et c’est peut-être aussi cette absence
d’image et de mise en scène qui permet d’éviter l’écueil du
voyeurisme malsain.
Cette imagination, pourtant, ne serait rien sans les efforts
des podcasteurs pour l’entretenir. Ces « créateurs de
son » usent de leurs propres méthodes, pour créer une
ambiance auditive. Élodie, qui a raconté sa découverte de
l’homosexualité dans Coming in, explique comment elle
retranscrit l’acte sexuel : « […] la respiration pour parler
de sexualité, c’est très fort […] On peut respirer très proche
d’un micro et je trouve que ça donne déjà […] la chair de
poule ». 2
DONNER LA PAROLE SANS TABOU
Le podcast met à disposition d’innombrables programmes
qui parlent de sexualité, de bien-être ou de perception de
soi (à l’image de Change ma vie, par Clotilde Dusoulier).
Avec Esther Perel, on analyse des thérapies de couple dans
Where shall we beggin ?, dans Entre, on suit « Justine [qui]
a 11 ans et entre en 6ème ». Les deux capsules servent
des discours sans tabou. Et c’est dans cette dynamique
que l’on retrouve un large choix d’émissions qui traitent
de féminités, de masculinités (Les couilles sur la table) ou
encore qui donnent la parole à des minorités (Me, My sex,
and I).
Le podcast se saisit de sujets dont on ne s’empare pas
ailleurs et prend la parole qui ne lui a pas été donnée.
Comme une fenêtre de liberté, peu soumise aux pressions
financières, il jouit de pouvoir traiter des sujets qui peuvent
n’interpeller qu’une audience réduite. Il ne mendie pas le
clic avec des formules racoleuses mais met à disposition
une plage de parole pour l’intervenant et offre à l’auditeur,
matière à projection.
« Cette absence d’image
et de mise en scène
permet d’éviter l’écueil du
voyeurisme malsain. »
Loin des vicissitudes de l’immédiateté, le format tend
à s’inscrire dans une intemporalité certaine, plus que
bienvenue au regard des nombreuses polémiques
médiatiques et des chaînes d’infos en continu. Il offre
une vérité plus pure : celle de l’expérience humaine. Des
expériences qui, ensemble, racontent une époque et ses
contemporains. Des histoires que les auditeurs aimeraient
sans doute eux aussi raconter, pour créer leur propre
récit, en guise de catharsis. Ces podcasts, très largement
produits par des femmes, reprennent des codes qui les
rendent alors rassurants : le calme, la sécurité et l’intimité.
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1.Sexualité: les podcasts libèrent la parole de Leslie
Rezzoug, pour L’Express.fr, mis à jour le 28/09/2018
2. Dans l’épisode «Sexe à la Gaïté lyrique » de La Poudre
produit par Nouvelles Écoutes