PORTRAITS
AWAA L’ ESSENTIEL EST INVISIBLE POUR LES YEUX
Lorsque l’ empreinte de l’ architecte s’ efface pour laisser la place à la plus simple et juste expression du projet, c’ est souvent la qualité du vécu, de l’ usage qui gagne en puissance. Une expérience que l’ on retrouve dans la plupart des projets du bureau AWAA.
TEXTE: MARIE POK.- PHOTOS: SERGE ANTON, NATHALIE VAN EYGEN, DIDIER BOURTEMBOURG
La valeur du « geste architectural fort »- pour reprendre cette expression qui s’ est imposée dans le vocabulaire de la critique d’ architecture il y a une petite vingtaine d’ années et qui aujourd’ hui horripile tout le monde-, est en train de changer. Le débat s’ est déplacé. L’ architecture d’ auteur ne repose plus sur les mêmes valeurs, les mêmes questionnements. S’ affirmer dans le paysage par un signe audacieux et manifeste n’ est plus la priorité absolue. En effet, la justesse de la réponse au programme semble gagner une place plus significative dans le débat architectural, souvent phagocyté par la question de la forme, de l’ objet. Charly Wittock et Christophe Bourdeaux, fondateurs du bureau AWAA font partie de ceux que le projet passionne d’ abord pour son contenu. « Chaque aventure est très différente car nous sommes profondément intéressés par la démarche du maître de l’ ouvrage. Elle prend le pas sur la nôtre. Chaque chantier est une recherche. Et une découverte. Ce qui nous intéresse ensuite c’ est de traduire de la façon la plus fidèle et la plus appropriée les envies de nos clients, » explique Charly Wittock. Emblématique d’ une fabuleuse collaboration entre le bureau d’ architecture et la maîtrise d’ ouvrage, le projet Caméléon, à Bruxelles, a concrétisé l’ ambition du client, Jean-Cédric van der Belen, de construire un bâtiment commercial exemplaire en matière d’ écoconception et écoconstruction. De la conception de ce bâtiment compact sur pilotis au choix des matériaux pour leur cycle de vie et leur inertie, en passant par la récupération d’ eau de pluie, le free-cooling et autres équipements, tous les choix ont été pleinement assumés. « Le projet remonte à 2009. A l’ époque, cette démarche demandait une certaine audace de la part des maîtres d’ ouvrage. On allait clairement à l’ encontre des réflexes commerciaux. Mais ils ont fait ce pari. Cela avait du sens pour eux. Aujourd’ hui, en matière de construction durable, nous avons été rattrapés par les normes qui nous sont imposées. On n’ opère plus par volonté personnelle, mais par obligation. En suivant des normes qui deviennent déjà obsolètes. Cela ne représente plus du tout le même intérêt. Ce qui, en revanche, a beaucoup de valeur à nos yeux, ce sont les convictions de nos clients. »
Après avoir changé de nom( le bureau cwarchitects est devenu AWAA en 2009) le studio poursuit ses activités tant dans le résidentiel que le commercial, le bureau ou le tertiaire. Si la complicité entre l’ architecte Charly Wittock et l’ artiste Christophe Bourdeaux a indéniablement grandi et touché une clientèle de plus en plus large, ceux-ci préfèrent préserver une échelle raisonnable, ne cumulant jamais plus de cinq projets. Ils refusent aussi la systématique: car après avoir construit plusieurs maisons dans une station balnéaire belge huppée, ils ont envie de tourner la page. Car l’ envie de relever de nouveaux challenges leur tenaille toujours les tripes. Entre une restauration d’ une maison des années 70, une construction en Italie, une villa au Costa Rica … il y a de quoi apprendre tous les jours. Et trouver le sens de ce que l’ on fait. « Les paysans italiens construisaient leur ferme en fonction de critères liés à la terre, à la nature. Nous devons renouer avec ce contact fondamental à l’ environnement », estime Charly. Qui, par le biais de son fils Kilhan Wittock, s’ intéresse de plus en plus à la permaculture. « L’ architecture est intéressante là où celle est invisible », poursuit Christophe Bourdeaux. Artiste, il cultive une distance critique par rapport à la pratique quotidienne du bureau. Les va-et-vient entre art et architecture lui permettent avant tout d’ interroger le sens profond des choses. « Mon rapport à l’ art est lié à l’ invisible, ce qu’ on ne peut pas directement percevoir. On passe beaucoup de temps à s’ occuper de ce qu’ on voit pour finalement articuler des choses qui ne se voient pas. » Partageant cet avis, fasciné par la complexité grandissante du monde, Charly Wittock se tourne lui aussi vers l’ art pour aller chercher des réponses subtiles aux interrogations de ce siècle. On ne s’ étonnera pas de le voir s’ emballer pour l’ œuvre du taiwanais Ming Wei Lee: « Son travail n’ a pas de forme. Il est d’ ordre interactif. Mais il n’ y a pas de produit final. Son œuvre joue sur l’ interaction humaine et permet de poser énormément de questions. Proposer aux visiteurs de donner une fleur à un inconnu ou d’ écrire une lettre de remerciement, c’ est avant tout inviter à s’ arrêter. A prendre du temps. A regarder plus loin, chercher plus profond. Au-delà de la simple forme. En architecture, le message est identique.»
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