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ARCHITECTURE

MARTIAT-DURNEZ UNE CERTAINE ÉPAISSEUR

Fx Martiat et Sibrine Durnez ont fondé leur bureau en 2004. Leurs réalisations sont principalement de l’ ordre du résidentiel, mais leurs aspirations les poussent à briguer des projets plus diversifiés, de la micro-architecture à la mesure urbaine. L’ air de rien, ils font partie de ces architectes qui, à leur échelle, discrètement, avec finesse, changent le visage de leur ville.
TEXTE: MARIE POK.- PHOTOS: SERGE ANTON
Leur démarche n’ est pas facile à cerner. L’ absence de « statement », de publications théoriques ou même d’ une présentation à travers un site internet propre ne facilité évidemment pas la tâche. Le plus simple est d’ observer ce couple, milieu de la quarantaine, côté à côté dans son bureau cum logement perché au dernier étage d’ un immeuble années 30 de l’ hyper-centre chaotique de Liège. Leur triplex abrite donc leur bureau, minimaliste à première vue, et leur domicile, espace ouvert et lumineux. En y regardant d’ un peu plus près on se rend bien compte que l’ affaire est bien plus subtile qu’ il n’ y paraît. La taille inhabituelle des portes, ou trop étroites ou trop hautes, le jeu sur l’ épaisseur du châssis, inexistant ou exagérément massif, interpellent discrètement et suscitent une expérience spatiale un rien déstabilisante. Il se passe quelque chose. En outre, depuis le bureau qui domine une place animée donnant sur la Meuse, on vibre au contact de ce tissu urbain décousu où l’ imposante Faculté de Philo et Lettre de l’ Université de Liège toise des immeubles 1900, d’ autres modernistes, des cafés, des commerces et la librairie Pax que Sibrine Durnez et Fx Martiat fréquentent assidûment. C’ est toute cette complexité, l’ histoire de l’ environnement, le lien social avec les riverains qui nourrissent ce projet à l’ expression sobre et dépouillée. Leur vision de l’ architecture et la façon dont ils la mettent en pratique est sans doute à l’ image de leur habitation, de leur lieu de travail et de leur implication dans le quartier de cette ville qu’ ils ont adoptée il y a bientôt 20 ans. Et même s’ ils estiment que Liège manque d’ une vision d’ ensemble, que les quais devraient être rendus aux riverains, que des initiatives comme les coteaux de la citadelle devraient se multiplier, ils se sont attachés à la cité.
Maximaliste Autre indice pour décoder le travail du bureau Martiat Durnez, c’ est l’ admiration que voue le couple, notamment, au designer Maarten Van Severen. Souvent qualifié de minimaliste, celui-ci s’ en défendait en se proclamant maximaliste. Si le jeu de mots est facile, il suggère néanmoins toute la subtilité, la richesse de la recherche qui sous-tend toute création de Van Severen. La forme, réduite à l’ essentiel, dans toute sa justesse et sa rigueur, prend en charge toute une série de paramètres; elle est l’ aboutissement de nombreux questionnements et de longues recherches. « L’ évidence est ce qui a muri à travers tout le processus de conception », déclare Fx Martiat. Pour le tandem, tout projet résulte d’ une étude attentive de contexte, d’ intenses questionnements et d’ un dialogue nourri avec le maître de l’ ouvrage. Leur priorité: le vécu, la valeur d’ usage. « Nous étudions les lieux afin que chacun y trouve sa place. Ce qu’ on recherche, avant tout, ce sont de belles atmosphères, des ambiances. Nous sommes très attentifs aux univers des personnes que nous rencontrons, on se projette dans leur vie, dans leurs désirs, » confie Sibrine, intuitive et spontanée. Ergotage ne les excite pas. La théorie les intéresse uniquement pour ce qu’ elle révèle d’ informations. Et pourtant, tous deux n’ ont de cesse de creuser-largement et profondément- autour des paramètres de départ. « On écoute, on écoute on écoute », martèle Sibrine. « Mais ensuite, on élargit la question. Le champ réflectif est bien plus vaste que le programme. Le contexte, l’ histoire du lieu, l’ histoire des techniques sont autant de domaines que nous fouillons avant de concrétiser. Mais ensuite, nous avons rapidement besoin de résultat tangible. A l’ issue on n’ est plus tout à fait conscients de toutes les étapes par lesquelles on passe. » Cette affirmation très pragmatique ne les empêche cependant pas de tenir une ligne radicale. Ils savent précisément où ils vont. Pas de concession, Martiat Durnez sont des architectes jusqu’ au-boutistes. Empreints de valeurs très fortes( qui pourraient sembler rigides) ils reconnaissent pourtant modestement que lorsqu’ en cours de chantier tout à coup apparaît une belle lumière, un détail auquel ils ne s’ attendaient pas, leurs principes architecturaux s’ effondrent. Et laissent modestement la place à l’ évidence. « L’ architecte est présent mais il doit pouvoir s’ effacer, » estiment-ils, jamais à l’ abri d’ une contradiction. Mais ces contradictions ont leur propre cohérence et densifient le débat. « Si l’ architecture s’ efface, elle doit cependant être pérenne. Elle n’ est pas sereine si elle ne vise cette pérennité. »
Constamment en éveil, le tandem se nourrit avidement d ' apports théoriques, humains, culturels et académiques. « Nous avons la chance d’ être souvent remis en question par notre entourage. Cela nous permet d’ interroger sans cesse la justesse du projet et de tendre vers quelque chose de très subtil. Nous pensions faire une architecture toute simple, mais en réalité nous sommes perpétuellement en quête d’ épaisseur. » Main dans la main, le couple a tracé les contours d’ une pratique définitivement prospective et enthousiaste. Loin toute velléité mercantile, Martiat Durnez croient en la générosité de l’ architecture lorsqu’ elle offre le cadre le plus juste par rapport aux paramètres rencontrés: dimension humaine, imaginative, puis qualité d’ espace, de structuration de matière. Oui, l’ architecture peut embellir la vie.
TROIS QUESTIONS À Martiat-Durnez
Un couple intéressant? Les Eames. Ils n’ ont pas seulement été de grands designers: leur travail s’ est étendu au cinéma didactique, à la photo, à l’ architecture. Ils ont fait de nombreux voyages qui les ont nourris. Leur travail est fort, riche, évident, attractif, intelligent.
Une source d’ inspiration? Le cinéma. Il nous intéresse pour les atmosphères qu’ il décrit. Les films de Sophia Coppola nous touchent tout particulièrement parce qu’ ils restent ouverts: il y a une sorte d’ imprécision, de flou. On est happé dans un univers, l’ intrigue n’ a finalement pas beaucoup d’ importance. Les choses sont plus riches que leur perception première.
Une lecture passionnante? Eleonor de Récondo, Pietra viva
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