Ces solutions établies en droit français et international, sont susceptibles d’ être transposées en droit libanais
I- Les Groupes de Sociétés:
II- Les États et les entités de droit public:
Numéro 22 | PAGE 6
ECO NEWS
| en français
L’ extension de la clause compromissoire à des personnes non-signataires
Ghaleb Mahmassani, docteur en Droit, avocat à la Cour, ancien membre de la Cour d’ arbitrage de la CCI( 2000-2005)
1- En vertu du Code Libanais des Obligations et des Contrats( C. O. C.), le contrat a un effet relatif en vertu duquel les effets de ce contrat sont limités aux parties contractantes et à leurs ayants droit à l’ exclusion de toute tierce personne( Art. 221 et 225 c. o. c.).
2- Or, la clause compromissoire étant un contrat consensuel comme tout autre contrat, lie- et ne lie uniquement- les parties à ce contrat, sans pouvoir étendre ses effets à un tiers non partie à cette clause en le considérant comme partie à l’ arbitrage, et ce sans son consentement et sans le consentement des parties à la clause compromissoire.
3- Toutefois, des difficultés sont nées quant à la détermination des parties à la Clause compromissoire lorsqu’ une tierce personne ou une entité non-signataire de cette clause a participé aux négociations ou à l’ exécution de celle-ci. De là, la question de savoir s’ il est possible d’ admettre l’ extension de la clause compromissoire à des tierces personnes non signataires s’ est posée.
4- En réalité, il ne s’ agit pas à proprement parler d’ étendre la clause à un tiers( ce qui serait contraire au principe de l’ effet relatif des contrats), il s’ agit plus simplement de déterminer l’ identité des véritables parties à la clause compromissoire; il n’ y a donc là aucune véritable atteinte au principe de l’ effet relatif des contrats, car la personne non-signataire devient partie au contrat.
5- Dans ce cadre, les arbitres ainsi que les tribunaux judiciaires, ont développé une approche juridique par laquelle ils ont considéré que l’ intervention d’ une personne, physique ou morale, non signataire du contrat, dans la négociation ou l’ exécution de ce contrat serait susceptible de constituer une présomption quant à la volonté réelle des contractants de considérer cette personne non signataire comme une partie réelle à ce contrat et par suite liée par celui-ci.
Cette solution s’ est développée dans diverses situations juridiques que nous pouvons regrouper en deux grandes catégories: les groupes de sociétés( I) et les États et les entités de droit public( II).
Ces solutions établies en droit français et international, sont susceptibles d’ être transposées en droit libanais
I- Les Groupes de Sociétés:
6- La question qui se pose dans ce cadre est la suivante:
Lorsqu’ on est en présence d’ une clause compromissoire signée par une société faisant partie d’ un groupe de sociétés, dans quelle mesure serait-il possible d’ étendre l’ effet de cette clause à une autre société du même groupe, ayant sa personnalité juridique autonome mais n’ ayant pas signé ladite clause?
7- Dans de tels cas, il a été reconnu qu’ il serait possible dans certains cas, de ne pas s’ arrêter devant l’ autonomie de la personnalité morale de chacune des sociétés du groupe et de considérer d’ autres sociétés de ce groupe comme parties à la clause compromissoire, lorsque certaines conditions sont réunies, et ce non pas sur la base de la notion de groupe, mais surtout sur la base de la volonté réelle des parties.
8- La doctrine et la jurisprudence internationales ont évolué au cour des dernières années dans leur interprétation et leur acceptation de cette extension de la clause compromissoire dans le cadre des groupes de sociétés. En
général, la jurisprudence française reconnaît l’ extension de l’ effet de la clause compromissoire signée par une des sociétés d’ un groupe à d’ autres sociétés de ce groupe lorsque cette extension est fondée sur la volonté réelle des parties, qu’ elle soit tacite ou expresse. En effet, dès 1982, la sentence « Dow Chemicals » datée du 23 / 9 / 1982 avait accepté l’ extension de la clause compromissoire signée par deux sociétés du groupe à la société mère ainsi qu’ à une autre société du groupe non-signataire de cette clause. La sentence s’ est basée sur plusieurs critères, dont la réalité économique unique du groupe mais surtout sur le rôle des sociétés non-signataires dans la négociation et l’ exécution des contrats contenant ladite clause, rendant ces sociétés, selon la volonté réelle des parties, comme de véritables parties à ces contrats et aux litiges en résultant. Cette sentence fut confirmée par l’ arrêt de la Cour d’ appel de Paris du 21 octobre 1983( Rev. arb. 1984, p. 88).
9- Cette jurisprudence fut confirmée par plusieurs autres arrêts qui ont admis l’ extension en recourant à divers critères pour fonder et justifier la solution. Ainsi certains ont considéré que le critère du groupe de sociétés et de son unité économique ainsi que la participation des différentes sociétés dans l’ exécution du contrat suffit en lui-même à justifier l’ extension de ce contrat aux sociétés non-signataires, et que cette extension constitue dans ce cadre un usage du commerce international.
10- De même il a été soutenu que si chaque société faisant partie du groupe conserve son entité, cette autonomie disparaît en cas d’ immixtion caractérisée de l’ une des sociétés dans la gestion ou le fonctionnement d’ une autre. Cette faute serait de nature à percer le voile social et engagerait la responsabilité de ladite société et serait de nature à justifier l’ extension.( D. COHEN, Arbitrage et société n. 565).
11- Mais la jurisprudence actuelle, dans sa grande majorité, confirme le critère tiré de l’ analyse de la volonté des parties, qui se manifeste soit directement soit indirectement alors même qu’ elle est tacite.
Ce recours à la volonté signifie la volonté réelle, concrète, telle quelle s’ est manifestée dans une immixtion de la société non signataire, en général de la société mère, dans la négociation, l’ exécution ou la dissolution du contrat. Cette volonté concrète est nécessaire et suffisante.
Elle est nécessaire ainsi qu’ il ressort d’ un arrêt de principe. « Cotunav en acceptant d’ intervenir dans l’ exécution du contrat a nécessairement ratifié la convention d’ arbitrage »( Cass. 25 juin 1991, Rev. arb. 1991. 413).
Cette volonté réelle est également suffisante. La volonté de ne pas signer un contrat n’ équivaut pas nécessairement à celle de n’ y être pas partie.
II- Les États et les entités de droit public:
11- Les problèmes rencontrés par les arbitres dans ce domaine sont plus délicats que ceux ayant trait aux groupes de sociétés, car le sujet ici concerne des personnes de droit public et met en cause l’ application de règles touchant à l’ ordre public.
En effet, en dépit de la similitude du sujet, la question de savoir si l’ État peut être tenu pour lié par une clause compromissoire signée par une entité du droit public ayant sa personnalité juridique autonome mais détenue par l’ État, est très délicate et suscite des problèmes bien plus importants que ceux suscités par les groupes de sociétés.
12- La jurisprudence, dans ce cadre, se caractérise par une précision et une sévérité bien plus claire que dans le cadre des sociétés privées. Il s’ agit là encore de prouver clairement que l’ État a accepté de se considérer comme tenu par la clause compromissoire et que la volonté commune tacite des parties était de considérer l’ État comme véritable partie à la clause. Pour éviter toute ambigüité, la jurisprudence exige que la volonté de l’ État soit exprimée par écrit et d’ une façon claire.
13- Parmi les décisions célèbres dans de domaine, il y a lieu de signaler l’ affaire des « Pyramides », où la Cour d’ appel de Paris a annulé une sentence arbitrale, en considérant que les formules de légalisation et d’ approbation d’ un contrat émanant du ministre concerné en tant qu’ autorité de tutelle ne prouvent pas la volonté de l’ État d’ être considéré comme partie au contrat( Appel Paris 12 / 7 / 1984, Revue de l’ Arbitrage 1986, p. 75). Cette décision fut confirmée par la Cour de Cassation( Cass. Civ, 1er, 6 / 1 / 1987).
14- Il y a lieu de signaler aussi l’ affaire « Westland », où le Tribunal fédéral suisse a considéré que l’ Organisation arabe pour l’ industrialisation( OAI) est une entité ayant une personnalité morale, autonome et indépendante des quatre États Arabes qui l’ ont constituée, et qu’ en l’ absence de faits établis suffisants à prouver la