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3 perspectives

LE SENS DU BEAU

P our que cet éditorial soit une parenthèse en ces temps singuliers , je vous propose de faire ensemble une petite escapade autour du sens du « beau ». « Ah ! Voilà de la belle ouvrage ! », pouvons-nous entendre de personnes appréciant avec un plaisir non-dissimulé une réalisation de belle facture ! En effet , ne dit-on pas que le beau élève , nous fait prendre de la hauteur et permet à l ’ esprit de s ’ évader , échappant ainsi un court instant à un quotidien redondant . Le beau permet de garder cette capacité à s ’ émerveiller , à s ’ émouvoir car , là où il est , l ’ émotion n ’ est jamais très loin .

Sous son emprise nous pouvons être admiratifs , sous son influence la larme peut poindre au coin de l ’ œil , la mélancolie ou une indicible sensation d ’ apaisement peut se faire jour … Que de bienfaits ! Alors pourquoi s ’ en priver ? Vaste sujet … qu ’ il faut donc aborder avec beaucoup d ’ humilité , tant les approches sont variées : nous sommes dans le domaine du sensible . Nous laisserons aux philosophes le soin de disserter sur « l ’ ambivalence de l ’ objectivité subjective du beau ». Nous nous en tiendrons purement à une proposition de réflexion sur la perception du beau par les hommes de métier .
Les débats d ’ idées sur cette question du beau ne sont pas près d ’ être terminés et c ’ est sans doute mieux ainsi . Espérons que le beau dans toutes ses dimensions ne puisse jamais être réduit dans un algorithme , aussi beau qu ’ il puisse être lui-même , laissant à l ’ humanité seule l ’ expression de toutes les palettes de sa sensibilité . Néanmoins , il nous faut bien attraper le sujet par un bout et je vous propose de débuter par cette citation de Lao Tseu 1 : « C ' est la conscience humaine du beau qui différencie le beau du laid . » Nous partirons donc du postulat que le beau est subjectif .
CETTE SENSIBILISATION À L ’ ESTHÉTISME , VOILÀ CE À QUOI NOUS INVITE AUSSI LE COMPAGNONNAGE À TRAVERS L ’ EXERCICE DU MÉTIER ET L ’ ASSEMBLAGE DES MATÉRIAUX : APPRENDRE À CRÉER DU BEAU POUR LE PARTAGER AVEC TOUT UN CHACUN .
En effet , la conscience humaine se construit grâce au vécu , l ’ éducation , la culture , la réflexion , les valeurs inculquées , sans oublier l ’ amour ... Nous pouvons facilement imaginer la multiplicité des appréciations du beau selon les repères relatifs à tout un chacun . Ce qui est beau pour vous ne l ’ est pas forcément pour un autre et inversement . En tant que Compagnons passionnés par nos métiers respectifs , nous sommes bien évidemment sensibles à l ’ appréciation de la difficulté et de la qualité techniques des mises en œuvre , au soin apporté à la finition , au souci de l ’ adéquation de l ’ objet avec sa destination . Néanmoins , même si tous ces critères sont remplis , si dès le premier coup d ’ œil l ’ esthétique n ’ est pas au rendez-vous , alors il manque clairement cette dimension qui satisfait la vue et parfois bien plus . Intérieurement , nous ne pouvons pas nous empêcher de regretter que tant de maîtrise , d ’ énergie et de temps auront été investis pour une œuvre qui restera finalement non aboutie .
Alors , pour faire des proportions justes , associer des volumes avec des lignes harmonieuses , créer des ensembles de couleurs accordées , rien n ’ est dû au hasard . Comme toute chose , il y a des savoirs et des compétences à acquérir et l ’ on ne saurait s ’ y soustraire pour espérer un jour être au plus près de la perfection . Ajoutons ces petits bonus que sont le goût et le talent innés et travaillés qui viendront apporter un supplément d ’ âme à l ’ ensemble . Même si parfois elle est difficile à acquérir , la technique est un âne qui est fait pour être monté quand on sait où l ’ on veut aller . À nous , hommes de métier , d ’ apprendre à la maîtriser tant que faire se peut , pour parvenir à un heureux mariage avec le beau . Cette sensibilisation à l ’ esthétisme , voilà ce à quoi nous invite aussi le compagnonnage à travers l ’ exercice du métier et l ’ assemblage des matériaux : apprendre à créer du beau pour le partager avec tout un chacun .
La vision n ’ a pas l ’ apanage du discernement du beau , il se dévoile en sollicitant chacun de nos sens : le goût , l ’ ouïe , l ’ odorat , le toucher . Et , oui , si le beau s ’ admire , il se sent aussi , se déguste , s ’ entend , se touche … Encore faut-il vouloir y être sensible et s ’ ouvrir à sa perception , apprendre à en connaître les codes pour en apprécier toutes
# 305 / Mars 2021