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3 perspectives

ESPRIT ES-TU LÀ ?

E n guise d ’ entrée en matière , afin d ’ illustrer le thème de cet éditorial , je vous propose une petite énigme dont le sphinx de Delphes , juché en haut de sa colonne , n ’ aurait pas eu à rougir . « Que suis-je ? : Nombre d ’ entre vous font appel à moi quand ils ne s ’ y retrouvent plus , il faut éviter de me perdre , je peux être traversé par une idée , être une vue , étroit , large , libre , pauvre , critique , de famille , diabolique , mal placé , d ’ état , Saint , sain et simple , chacun peut utiliser mon trait , mais là je suis plus humoristique que carré … » Vous l ’ aurez compris , voici donc « l ’ esprit » si cher aux Compagnons . Mais au fait qu ’ entend-on par-là ? Ne mettons-nous pas dans un même sac forme et fond ? Un endroit un peu fourre-tout où chacun met et puise un peu de « son » compagnonnage , suivant ses aspirations , mêlant parfois dans ce domaine du sensible tradition , us et coutumes , rituels , souvenirs d ’ anciens ou de situations , avec de temps en temps un zeste de nostalgie du : « C ’ était mieux avant ! ». D ’ autre part , l ’ esprit dont nous parlons ici renvoie-t-il forcément à la spiritualité ? Spiritualité religieuse , spiritualité laïque , spiritualité propre au compagnonnage ? Relevons les manches et essayons d ’ y voir plus clair .

Il faut en convenir , si tant est que cela puisse être possible , ce n ’ est sûrement pas avec les quelques lignes d ’ un éditorial que je pourrai arriver à faire le tour de la question . Loin s ’ en faut … Ce sont des sujets d ’ autant plus difficiles à attraper pour nous , hommes et femmes de métier , qui sommes confrontés à un quotidien bien concret de mise en œuvre et de contexte économique . Mais cela peut être aussi une force , car l ’ avantage du concis est d ’ aller droit à l ’ essentiel , au même titre que l ’ approche du « Que fait-on lundi matin ? » oblige à se mettre en route . Risque assumé , d ’ autant que ce concept est par nature évanescent , touchant au champ du subjectif , de l ’ affectif et où , par-là même , la raison a parfois du mal à trouver sa place . La raison me dirait d ’ ailleurs de ne pas aller plus loin … tant pis . Aucune prétention à ce que cela soit la vérité , même pas les prémices d ’ un bout d ’ une vérité ou peut être rien de tout cela . Simplement des propositions , des entrebâillements de portes , des cheminements , dans une démarche d ’ amélioration constante de mieux percevoir et appréhender ce que pourrait être ce fameux « esprit » Compagnon .
CERTAINEMENT , UN JOUR NOUS L ’ AVONS TOUS CROISÉ ( SI CE N ’ EST NOUS-MÊME ) CE COMPAGNON À LA MINE DÉSABUSÉE ET QUI LIVRE À QUI VEUT BIEN L ’ ENTENDRE CETTE PETITE PHRASE PAS SI ANODINE QUE CELA : « ON PERD L ’ ESPRIT … ».
En préambule , pour asseoir le propos , il est nécessaire de se rappeler quelques postulats . Historiquement le compagnonnage du Devoir est de confession chrétienne catholique , ce qui ne l ’ empêche pas , bien au contraire , de défendre ardemment le respect de la liberté de pensée et de conscience . Cela est possible aux seules conditions que ce genre de question reste dans la sphère privée , ne donne donc pas lieu à du prosélytisme interne et corresponde à notre vocation écrite dans la Règle : « permettre à chacun et à chacune de s ’ accomplir dans et par le métier dans un esprit d ’ ouverture et de partage ».
Notre spécificité de mouvement de compagnonnage est due à notre mode de transmission original au travers de quatre fondamentaux : le métier , la communauté , le voyage et l ’ initiation . Cet ensemble indissociable doit permettre à tout jeune désireux de se mettre en chemin d ’ acquérir les compétences nécessaires pour devenir non pas « le » meilleur mais meilleur , et dédiées à un seul idéal : transmettre du mieux possible ce qu ’ il sait et ce qu ’ il est .
Certainement , un jour nous l ’ avons tous croisé ( si ce n ’ est nous-même ) ce Compagnon à la mine désabusée et qui livre à qui veut bien l ’ entendre cette petite phrase pas si anodine que cela : « On perd l ’ esprit … ». La voilà donc lâchée , lourde de sens , justifiée généralement lorsque , les uns et les autres , nous avons la sensation que les choses ne se passent pas comme il le faudrait ou comme nous l ’ envisagions ! J ’ ai aussi en mémoire l ’ usage de cette autre formule parfois usitée dans une situation où la personne est à court d ’ arguments ou simplement en guise d ’ explication : « Oui , mais il faut savoir lire entre les lignes … ». Celle-là , je l ’ ai beaucoup aimée car j ’ ai bien imaginé des générations de Compagnons ( dont je fais partie ) cherchant dans cet espace composé de vide sidéral - sinon sidérant - d ’ interlignes , la présence d ’ une hypothétique réponse ô combien immatérielle ! Bon , dans tous les cas nous avions compris qu ’ il y avait quelque chose à chercher et c ’ est toujours mieux que rien ! L ’ évocation à demi-mot est aussi de bon aloi dans cette autre affirmation entendue par la plupart d ’ entre nous et beaucoup plus riche à mon sens en possibilité de développement : « On rentre chez les Compagnons pour une chose ( sous-entendu le métier ) et on y reste pour d ’ autres … » Vous y mettriez quoi ? Je vous laisse la main pour votre futur article . Chiche ?
# 282 / Février 2019