Prix Thaddaeus
Ropac avec
le Prix Fondation
Jean-François
& Marie-Laure
de Clermont Tonnerre
Quin Han & Yuyan Wang
collec. Nidgate
(5e année) atelier
Vilmouth & Tayou
Alexandre Lenoir
(5e année) atelier
Boisrond
Quin Han & Yuyan Wang
collec. Nidgate
On pourrait évoquer une galaxie statique
à l’observation de cette installation. Il s’agit
de « planètes » grises dispersées dans l’espace
qui présentent un aspect minéral. Ces boules
sont fabriquées avec du papier journal récupéré
tous les jours pendant un an. Le papier journal,
support d’actualité quotidienne, a été pétri
jusqu’à devenir une pâte qui couvre les ballons,
modèles enduits de colle. Une fois la forme
sphérique obtenue, les globes sèchent et
durcissent en quelques jours voire en un mois.
Les informations des journaux, revues et autres
périodiques se transforment en un univers
de quarante-huit ballons, de trois tailles
différentes, qui correspondent à une journée,
une semaine et un mois du processus de
travail. Au cours de ce processus, les couleurs
sont réduites en une monochromie grise
et abstraite.
S’accumulent de la sorte les publicités,
les articles, les événements, les images de
toutes les couleurs, transformés en une forme
embryonnaire. Han Qin et Wang Yuyan affirment
discrètement un commencement, autrement
dit un balbutiement. Ainsi, elles retracent d’une
certaine manière l’origine de notre monde.
Installées dans une caverne souterraine, ces
planètes se sont pourtant composées des
mots de notre société de communication, de
l’information qui constitue la sève de nos
sociétés mondialisées. Est-ce alors une
allégorie du binôme du microcosme et du
macrocosme, d’un espace qui représente
à la fois la « petite parcelle du monde » et « la
totalité du monde » comme l’indique Michel
Foucault ? Le penseur évoque de cette manière
le jardin propre à l’« hétérotopie heureuse »,
alors que nous nous retrouvons plutôt dans
un jardin délaissé, ruiné, un univers désolé qui
impose une méditation et qui renvoie à un
sentiment de culpabilité ou d’échec. Tout est
pétrifié dans cet enclos. La métamorphose
des journaux pendant une année en mélasse
poisseuse est d’autant plus violente, que
Qin Han et Yuyan Wang sont mues par le
désir de saisir et de digérer les informations
quotidiennes. Mais leur tentative de prendre
contact avec le réel et d’accéder à sa
connaissance finit dans un silence - un silence
finalement presque harmonieux. Les mots
mâchés, la signification originelle ne peut
plus être retrouvée. En « détruisant » les mots
et avec eux le temps passé, les artistes
fabriquent des globes de plus en plus solides
qui témoignent du temps vécu. Face à l’œuvre
achevée, on se rend compte que c’est le
temps même qui est présenté, que ce soit
une période déterminée ou non. Or il ne s’agit
pas seulement de cristalliser le temps perdu.
Si le travail lent et progressif peut être
considéré comme une méditation pour résister
à l’entropie du quotidien, ce geste risque
tout de même de réduire encore une fois les
messages en un bruit incompréhensible,
un bruit qui nous échapperait éventuellement.
Le paradoxe de l’incompréhension
hante toutes les œuvres présentées lors de
leur diplôme en 2016. Dans ce contexte
de l’atelier Vilmouth à l’Ecole des Beaux-arts
de Paris, les spectateurs étaient invités,
avant de descendre dans la cave, à traverser
Nidgâté, My apologies to time for all the world
I overlook each second, 2016, Papier journal,
dimensions variables.