CODE South Way #2 | Page 31

C O S Q U E R
C A V E

Off Korakrit Arunanondchai’ s Computer

Par Charlotte Cosson & Emmanuelle Luciani
« L’ Homme du futur est incompréhensible si l’ on n’ a pas compris l’ Homme du passé »
André Leroi-Gourhan 1
Les œuvres de Korakrit Arunanondchai concentrent simultanément les peurs et les espoirs de l’ humanité concernant son futur. There’ s a word I’ m trying to remember, for a feeling I’ m about to have( a distracted path toward extinction) n’ échappe pas à cette règle. Soulignant la situation chaotique de notre contemporanéité, cette nouvelle vidéo dévoilée lors de la biennale de Berlin présente une temporalité disjointe: notre présent semble réminiscence dans un passé où la vie n’ est plus telle qu’ on la connaît. Plusieurs possibles sont explorés, parfois de manière simultanée: un nirvana où les Hommes auraient été transformés en arbres reliés au centre d’ une planète, une vie sur alpha-centaure, un monde où des rats géants domineraient …
Contrairement à certains artistes contemporains, GCC par exemple, qui perçoivent un avenir où les dominants auront continué leur expansion et l’ uniformisation du monde 2, Korakrit Arunanondchai expose des fastes appartenant à un passé révolu. Il semble même difficile de s’ en souvenir tant ils paraissent éloignés de cette réalité nouvelle où le dernier homme lutte pour sa survie en s’ alimentant frugalement. Une source d’ eau apparaît tel un nirvana. Les personnages de There’ s a
1 Leroi-Gorhan, André, Les racines du monde, 1982. p. 222
2 cf. GCC, Co-Op, vidéo, 2014.
3 Meillassoux, Quentin, Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, Paris, Seuil, 2006
word I’ m trying to remember, for a feeling I’ m about to have semblent se débattre seuls dans l’ univers. La question est celle de l’ extinction des espèces: des dinosaures, de l’ Homme de Neandertal, de l’ Homme puis de celle, future, des rats géants. L’ anxiété de la pérennité dans l’ avenir est égale à celle de la perte de la mémoire: de quoi nous rappellerons-nous après la chute? Les ordinateurs auront-ils stocké nos souvenirs? Et, le cas échéant, y aurons-nous accès?
Les épreuves exposées dans There’ s a word I’ m trying to remember, for a feeling I’ m about to have rappellent celles d’ un parcours initiatique. Malgré la noirceur de la prédiction, le négatif est loin d’ être l’ émotion qui l’ emporte. Il s’ agit pour l’ Homme de dépasser son cerveau reptilien; ce cerveau préhistorique qui l’ empêche d’ apprécier tout changement car il était synonyme de mort lors des ères Paléo- et Néolithique. Si l’ on sent la peur du rat lorsqu’ il se pose la question de sa survie incertaine, on perçoit outre la confiance qu’ il a en l’ Homme et en sa réponse. L’ empathie et l’ amour surpassent l’ incertitude qui caractérise toute notion de futur. Korakrit Arunanondchai propose une philosophie du lien: J’ ai voulu m’ intéresser à la membrane qu’ il y a entre les choses, créer des liens entre des éléments antagonistes: l’ Est et l’ Ouest, la technologie et la spiritualité écritil. Plutôt que de se déchirer dans l’ adversité, il émet la possibilité de s’ associer. A l’ instar d’ un chaman, il jette un pont entre toutes les parcelles du vivant, produisant en nous l’ envie de prendre l’ autre dans ses bras; réduisant la quantité d’ air qui nous sépare de lui.
Outre sa volonté de lier les êtres et les antagonismes dans un esprit de coexistence, Korakrit Arunanondchai renoue également avec la transcendance. Bien sûr, en ouvrant la possibilité de penser le monde hors de l’ humain, l’ artiste thaïlandais est proche des théories du matérialisme spéculatif de Quentin Meillassoux qui, lui aussi, exhume l’ idée de la transcendance en dépassant la tradition philosophique occidentale moderne. 3
Octobre 2016— Avril 2017 31