BCarlington News Magazine 6 | Page 51

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Comment trouver le temps d'écrire

Il y a quelques semaines, j’ai eu une idée de

roman. L’Idée avec un « I » majuscule. Vous savez

ce que c’est. Le genre d’inspiration avec laquelle

vous vous dites : « Il y a matière à faire quelque

chose de bien. Je vais l’approfondir un peu, et

puis je m’y attelle. Il faut juste que je dégage du

temps pour l’écrire ». C’est à cette époque que

mon adorable compagne (ne cherchez pas

l’ironie, il n’y en a pas) m’a annoncé qu’elle allait

devoir travailler tous les week-ends et parfois

tard le soir pendant un mois. J’allais donc devoir

m’occuper seul de ma grande fille avec ses

soucis d’ado qui se métamorphose et de mon

petit bout de six mois qui hurle dès qu’on

l’ignore plus de deux minutes.

Adieu week-end. Adieu soirée. Adieu temps

libre. Adieu roman ?

Peut-être pas.

De l’eau pour notre moulin

Quand on évoque le sujet de la matière

première pour le travail d’un auteur, on pense

systématiquement à l’inspiration, aux idées, à

ses mots parfois, mais rarement au temps. Il

s’agit pourtant de notre ressource la plus

importante et la plus précieuse.

Importante car, sans lui, nos meilleures idées

ne sont que des vœux pieux qui finiront un jour

par s’évaporer. C’est l’eau qui permet au moulin

de tourner.

Précieuse, car il nous est compté selon une

convention humaine qui ne se négocie pas. Que

vous vous appeliez Bernard Werber, Marguerite

Duras ou Robert Bidochon, vos journées ne

compteront jamais plus de vingt-quatre heures.

Bien sûr, il y a des auteurs qui ont gagné la

renommée et le succès suffisants pour dédier

leurs journées entières à l’écriture, mais

combien sont-ils au milieu de la foule d’auteurs

anonymes et sans cesse grandissante ? 2 % ? 5 %

dans le meilleur des cas ? Pour les autres (dont

je fais partie), nous devons jongler avec un

travail alimentaire, une famille chronophage et

les pauses que nous osons nous autoriser

parfois.

Au milieu de tout cela, nous devons trouver

le temps nécessaire pour écrire. Il peut paraître

inaccessible, parfois même inexistant. Nous

pouvons parfois avoir le sentiment que ce temps

disponible est introuvable, car il n’existe tout

simplement pas. La vérité est qu’il s’agit d’un

trésor de pirate enfoui sous le sable d’une île

déserte. À la différence près qu’il n’existe

aucune carte sur laquelle une grosse croix rouge

indique son emplacement. La solution est à la

fois plus simple… et plus complexe.

"Le temps libre existe,

mais il n'est pas gratuit."

Le temps pour écrire existe-t-il encore ?

Certes, il est plus facile de dégager du temps

libre pour un rentier sans enfant que pour une

mère célibataire qui cumule deux boulots. Mais

cela reste possible.

Le plus bel exemple que je connaisse est J.K.

Rowling. Avant la sortie de « Harry Potter à

l’école des sorciers », elle était mère célibataire

cumulant deux jobs et trois bagages enfants

(depuis, sa situation s’est considérablement

améliorée). Elle écrivait son premier roman à

l’aube, avant d’attaquer ses journées de travail,

pendant que ses enfants dormaient encore.

Rowling aurait pu utiliser ces heures pour

s’octroyer quelques minutes de sommeil

supplémentaires. Elle les aurait bien méritées,

et personne ne lui aurait jeté la pierre. Imaginez

cependant quelle perte cela aurait été pour la

littérature jeunesse ! En se levant un peu plus tôt

tous les matins, Rowling a compris une chose

importante : le temps libre existe, mais il n’est

pas gratuit. C’est un tribut dispensé par un Dieu

avare. Et il exige des sacrifices.