– Ankou ?… Comme le faucheur breton ?
– Ouais. J’ai pas mal bougé avant de venir ici et avec ma première paye, je me suis offert un tatouage : un dessin de l’Ankou, histoire de me rappeler mes origines.
Un soupir discret s’échappa des lèvres du jeune homme. Après « La Mòrta », il avait peur de se trouver face à un autre sociopathe schizophrène.
Alors que les deux gardes du corps se dévoraient des yeux et que de leurs quatre autres sens, ils s’assuraient de la sécurité du périmètre, Akira déchiffrait péniblement les émotions qui défilaient dans le regard de son camarade. Le soulagement, la réflexion puis le contentement… Le jeune homme commençait à comprendre ce qui avait poussé Ashim à venir au Lagon ; il avait déjà remarqué les éclairs de haine qui avaient traversé les orbes noirs quand ils se posaient sur Lysandro, et là, de le voir jeter des coups d’œil furtifs aux gardes du corps, comme s’il les jaugeait, l’inquiétait un peu. Mais malgré tout, il aimait bien Ashim et il était persuadé que si lui avait vu, Lysandro aussi. Et si le boss ne l’avait pas fait disparaître…
Akira se leva.
– Il est temps d’en finir.
Trois paires d’yeux se posèrent sur lui et il sourit devant leurs airs à la fois soulagés, ce serait bientôt fini, et angoissés, oui mais dans combien de temps ?
*
Assis derrière son bureau, les mains croisées et le menton posé sur elles, Lysandro regardait Louis Framand sortir de son bureau. Dès le soir où David l’avait amené avec lui, il s’était douté qu’il viendrait, à un moment ou à un autre, solliciter l’autorisation de choisir un ou une hôte au maître des lieux. Durant leur discussion, Louis n’avait pas avoué de préférence, mais Lysandro l’avait quand même aiguillée vers Faad pour le choix des jeunes femmes.
La longue chevelure blonde disparut derrière la porte et Lysandro soupira. C’était bien parce que c’était un ami de David qu’il avait consenti à songer à l’accepter parmi ses clients bien qu’il lui laissa une impression désagréable.
Lee entra quelques instants plus tard.
– Tu vas le laisser devenir client ?
Les yeux gris se plantèrent dans les siens et le Chinois eut un frisson désagréable. Puis cette impression de froid qui l’avait engourdi brusquement s’évanouit quand son patron ferma les yeux. Quand il les rouvrit, la lueur dangereuse qui y brillait un instant plus tôt avait disparu. Une certaine lassitude s’y lisait à présent.
– Je ne sais pas trop. C’est un ami de David et il a toujours eu un goût sûr pour ses fréquentations.
Lee s’approcha du bureau jusqu’à se tenir devant.
– Je le sens pas. Il y a quelque chose qui me chiffonne chez lui.
– Je sais, mais j’en dois une à David et selon mes propres règles, quand un client avec lequel nous n’avons eu aucun problème nous recommande quelqu’un, je me dois de me pencher sur son cas.
– Mouais…
Lysandro ferma à nouveau les yeux et s’enfonça dans son fauteuil.
– Demande quand même à Moira de faire une enquête.
Lee hocha la tête, fit demi tour et prit le chemin de la porte. Lysandro l’arrêta avant qu’il ne pose la main sur le poignet.
– Qui accompagne Akira et Ashim ?
– Ank' et Anissa.
– Bien. Tu leur diras qu’ils seront du voyage avec Akira. Je n’ai pas confiance dans les gardes du corps d’Amara.
– Oui.
Le Chinois sortit de la pièce et se dirigea directement vers son bureau. Cela faisait un petit moment qu’il n’avait pas fait appel aux services de l’agence de détective « Mrs. Kralova ». Le patron de cette agence, Moira Kralova, était une Tchèque droite comme la pierre et dur comme l’acier. C’était cette réputation d’incorruptible qui avait décidé Lysandro à l’engager, de façon régulière, pour faire les enquêtes de moralité sur ses futurs clients.
Lee composa le numéro qu’il connaissait par cœur et une voix masculine bien plus douce que celle de Moira et avec un léger accent anglais répondit.
– Agence Kralova, bonjour !
À première vue, la Tchèque s’était enfin offerte un secrétaire digne de ce nom.
– C’est Lee Chang, de l’Orchidée. Moira est là ?
Il y eut un instant de silence avant que le secrétaire ne réponde.
– Monsieur Chang ! Madame Kralova est en rendez-vous. Je peux prendre un message ou lui demander de vous rappeler plus tard ?
– Ouais… J’ai besoin d’une enquête sur un certain Louis Framand pour Monsieur de Trincavel.
À nouveau, il y eut un silence.
– Louis Farmand… Age : 27 ans, 1,84 m, 78 kg, originaire de Neo-Paris. Fonctionnaire de niveau 3 dans la Guilde des Finances.
Lee ne s’attendait pas à avoir le prédigéré de l’homme en quelques secondes et mit un temps avant de répondre.
– Vous avez déjà un dossier sur lui ?
– Ah non, non, monsieur Chang, je regardai juste qui c’était sur le réseau.
– Si vite ?