Chapitre 5
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L’inspecteur Cordan observait avec intérêt l’androïde médicale qui disséquait avec application le corps de Fred Corciano. Ce petit morveux de Trincavel ignorait son existence la plus part du temps et il ne s’intéressait à lui que pour ce genre de merde.
Ce cadavre-là n’était pas le sien. Il connaissait le travail appliqué du maître du Lagon même s’il n’avait jamais pu remonter jusqu’à lui. Il était bien plus intelligent que son père et il avait toute la population du Lagon derrière lui. Personne ne le balancerait, pas par peur mais parce que ce gamin avait assuré leur tranquillité. Il tuait de temps en temps ? Que des salauds ? Bah… Ma petite dame, il faut bien que quelqu’un se salisse les mains pour que les honnêtes gens soient tranquilles, non ?
Son père régnait par la peur, son gamin par le respect.
– Il est mort par hémorragie due à la section de la carotide, dit l’androïde médicale, le coupant dans ses réflexions. Et il a passé au moins trois jours dans l’eau.
– On peut déterminer la date de sa mort ?
– Entre trois jours et une semaine, peut-être ? Avec son séjour prolongé dans l’eau, il est difficile d’être plus précis. Désolé inspecteur Cordan.
– C’est rien.
Comment cela se faisait-il qu’il n’avait pas eu vent de son évasion ? C’était toujours les trois postes de police en place dans le quartier de la Guilde des divertissements qu’on prévenait en premier. Ce quartier du centre-ville n’était pas complètement dans le Lagon, mais il en était la porte. Et tous les fuyards cherchaient la protection du maître des lieux. Quoique, sourit le policier, peut-être pas celui-là. Les relations amicales entre Amara Millerand et Lysandro de Trincavel étaient connues de tous et même si le gamin savait parfaitement qui était le réel instigateur de l’enlèvement de la jeune femme, alors encore adolescente, Fred Corciano en avait été l’exécutant.
– Faîtes des prélèvements, s’il vous plaît, demanda-t-il, persuadé qu’il y avait anguille sous roche.
– Mais ce n’est pas dans le protocole, s’opposa l’androïde.
– S’il vous plaît, il vaut mieux être prudent. Inutile de les envoyer au labo, mettez les juste avec le rapport définitif.
– Très bien, si vous voulez.
Cordan sourit au léger ton excédé de l’androïde et sortit. Il allait devoir se rendre à la prison de haute-sécurité de la Santé. La non-annonce de son évasion lui paraissait plus que louche.
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Quelques jours après son agression, Ashim put enfin se lever sans ressentir de douleur et pensa que la doctoresse qui l’avait soigné était vraiment douée. La longue entaille qu’il avait reçu au côté n’était plus qu’une fine marque rougeâtre.
En se levant, il avait sonné pour avoir son petit déjeuner. Peu habitué à ce genre de service, il en avait bien profité pendant ces quelques jours de convalescence, sachant d’avance qu’on lui ferait payer ces petits luxes plus tard.
Ce fut Lee lui-même qui monta le plateau-repas.
– Sabrina m’a annoncé que tu étais enfin remis.
– Hm.
Ashim ne l’avait encore jamais rencontré et il se méfiait de cet Asiatique au visage fermé. Celui-ci déposa le plateau sur le lit avant d’entrer dans une petite pièce qui jouxtait la chambre : un dressing.
Lee soupira tandis qu’il cherchait le vêtement exigé par Lysandro. Il finit par mettre la main dessus et sortit d’un tiroir un long kimono noir et pourpre. Il vérifia rapidement l’état du tissu et, une fois assuré qu’il était toujours comme neuf, il l’apporta à Ashim.
Le jeune homme le regarda s’affairer, observant d’un œil critique le kimono tandis que Lee attrapait une liasse de papier déposée sur une commode près de la porte. Il le lut rapidement avant de secouer la tête, désapprobateur, puis s’installa dans le fauteuil près du lit. Il sortit un stylo.
– Je suis Lee Chang, le gérant de l’Orchidée.
– Ashim Fayez.
– Je sais. J’ai besoin de quelques renseignements afin de pouvoir terminer de rédiger ce contrat.
– D’accord.
Le jeune homme fronça légèrement les sourcils. Il n’avait pas revu le maître du Lagon depuis qu’il était arrivé et ils n’avaient donc pas pu décider de la place qui lui serait assignée.
– Y a-t-il quelque chose de particulier que tu saches faire ?
Ashim réfléchit un instant. À quel genre de talent pouvait-il bien faire allusion ? Devinant sûrement la perplexité chez le jeune homme, Lee l’éclaira.
– Connais-tu un instrument ou sais-tu chanter ou encore autre chose qui pourrait divertir les clients ?
– Eh bien… Ma mère m’a appris la harpe...
– Parfait.
Lee griffonna l’information sur le papier puis lui donna le contrat.
– Lis-le et si tu es d’accord avec les termes, douche-toi et enfile ce kimono avant de descendre au restaurant.
– Très bien.