parole d’expert observatoire des mémoires
Quand la musique
est bonne
pour la mémoire
L’Observatoire B2V des Mémoires
a interviewé Hervé Platel, professeur
de neuropsychologie à l’Université
de Caen (Unité Inserm U1077).
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Hervé Platel, neuropsycho-
logue, est le co-auteur de
Le cerveau musicien avec
Bernard Lechevalier et
Francis Eustache, président
du Conseil scientifique de
l’Observatoire B2V des
Mémoires, et Neuropsy-
chologie et art théories et
applications cliniques avec
Catherine Thomas-Antérion,
membre du Conseil scienti-
fique de l’Observatoire B2V
des Mémoires.
Quels effets la musique a-t-elle sur
la mémoire ? Permet-elle de soigner
les troubles de la mémoire ?
La musique en tant qu’“Art du temps” ne peut
s’apprécier et se comprendre pour l’auditeur
que grâce à la mémoire. C’est le plaisir de
reconnaître un air familier ou d’admirer com-
ment évolue l’interprétation d’un instrumen-
tiste dans un solo de jazz, par exemple. La pra-
tique de la musique implique très intensément
nos différentes mémoires, et nous avons mon-
tré que les musiciens chevronnés présentaient
d’importantes modifications des régions céré-
brales impliquées dans la mémoire comme
l’hippocampe. À défaut de soigner la mémoire
de patients atteints, notamment, de la maladie
d’Alzheimer, nous pouvons, en revanche, nous
appuyer sur la résistance de la mémoire musi-
cale afin de maintenir les capacités cognitives
et lutter contre les troubles du comportement
associés à ce type de pathologie.
Il existe cinq systèmes de mémoire,
la musique joue-t-elle un rôle
sur un système en particulier ?
La musique, c’est bien connu, est un puissant
inducteur de souvenirs autobiographiques
(mémoire épisodique) et les études expéri-
mentales et cliniques montrent que l’écoute
hervé platel
d’une musique familière aide à la récupéra-
tion de souvenirs personnels riches. Cepen-
dant, tous les systèmes de mémoire sont mis
à contribution par la musique, surtout lors
de son apprentissage : mémoire immédiate,
motrice, perceptive, sémantique et épiso-
dique sont quasi simultanément convoquées
dans de nombreuses situations musicales et
l’on ne s’étonnera donc pas que beaucoup
d’études scientifiques montrent que les
enfants démarrant l’apprentissage de la
musique voient leurs performances mné-
siques augmenter dès quelques semaines de
pratique, ce qui peut contribuer à les aider
de manière générale dans tous les apprentis-
sages scolaires.
La musique peut-elle être un moyen
de prévention ?
Certainement, car c’est un “sport cérébral”
complet. Une étude s’intéressant au parcours
de santé de grandes séries de populations a
montré, chez des jumeaux, que le risque de
démarrer une maladie associée au vieillisse-
ment était significativement diminué chez
celui qui avait eu une pratique instrumentale
au cours de sa vie alors que l’autre n’en avait
pas eu. Au-delà de cette donnée statistique,
les études de neuro-imagerie montrent clai-
rement que la pratique et même la simple
écoute de la musique produisent des effets
de neuroplasticité (changements dans le fonc-
tionnement et dans la structure du cerveau)
puissants et reproductibles. Il reste cepen-
dant de nombreux travaux à réaliser afin de
mesurer plus objectivement ce qui peut être
attendu en termes de bénéfices cognitifs et
physiologiques en fonction du type d’inter-
vention proposé.