“Parce qu’on s’appelle
Potemkine, on nous
a souvent proposé
des films russes.
C’est venu presque
par défaut,
du moins naturellement”
Une des lignes directrices de Potemkine,
c’est cette passion pour le cinéma russe,
autant des auteurs classiques que
des moins connus mais dont les œuvres étaient
à chaque fois difficilement accessibles.
D’où est né cet intérêt ?
Ce n’est pas une passion que j’ai depuis longtemps. C’est
venu un peu par rapport à la boutique. Parce qu’on s’appelle
Potemkine, on nous a souvent proposé des films russes.
C’est venu presque par défaut, du moins naturellement. Du
coup, la découverte est venue avec, je ne connaissais pas
Tchoukhrai, je ne connaissais pas Panfilov, je ne connaissais
que certains films de Kalatozov, je connaissais par contre
Tarkovski et je ne connaissais pas Requiem Pour un mas-
sacre. Je me suis surtout reconnu dans ce cinéma car c’est
avant tout formaliste, un cinéma qui utilise les moyens du
cinéma, l’image, le son, le montage plus que des moyens
littéraires, pour raconter une histoire.
Cela m’a toujours beaucoup touché. Parmi les favoris, il y
a Mikhail Kalatozov. Je l’avais redécouvert quand Soy Cuba
était ressorti en salles, en vidéo, etc. Je crois que c’était
Martin Scorcese qui l’avait redécouvert d‘abord, ensuite il
y a eu une ressortie mondiale.
C’est un film produit par les Russes à Cuba pour la propagande
communiste. Kalatozov avec son chef opérateur Ouroussevski
a réussi à créer une œuvre formelle absolument démente
où chaque seconde est une expérimentation artistique et
créative qui va bien au-delà du propos propagandiste qui
finalement est assez anecdotique dans le film tellement
ce dernier est d’une beauté qui dépasse ça. Après il y a
un film qui a eu la Palme d’Or, Quand passent les cigognes,
qui pour le coup est plus proche du dernier coffret qu’on
a édité : Gregori Tchoukrai. Il est un peu moins connu que
Kalatozov, pourtant il a fait le film La ballade du soldat
qui est assez proche de Quand passent les cigognes, film
réalisé à cette époque très florissante du cinéma russe
qui est l’époque du dégel, l’après-Staline où enfin on a
commencé de parler de l’humain, de l’individu après une
longue période où c’était le peuple et ses grandes actions
héroïques qui étaient mises en avant, notamment liées à la
guerre. Il y a eu toute une relecture de la guerre par le biais
de ces films-là. C’est assez passionnant. Il y a notamment
le remake d’un film des années 20 à la gloire de la grande
Russie et de l’armée russe qu’il a réussi à transformer en
étant très proche de l’histoire initiale mais en changeant
quelques détails pour remettre l’individu au milieu du grand
mouvement du peuple communiste. La ballade du soldat
avait fait quand même deux millions d’entrées à l’époque
en France, donc c’est un film qui a eu un certain succès !
On a aussi fait l’intégrale Andrei Tarkovski qui était la
génération d’après et qui a pris le pendant qui me plaît
le plus dans le cinéma russe, c’est le pendant poétique
qu’il a amené à une apogée mystique que peu d’artistes
ont réussi à atteindre, même aucun autre selon moi. Il y
a aussi Elem Klimov, qu’on aime beaucoup, le réalisateur
de Requiem pour un massacre, dont on va éditer prochai-
nement plusieurs de ses films, pour la plupart inédits
en France, et aussi des films de sa femme, qui était une
grande cinéaste, Larisa Shepitko, dont on vient d’éditer trois
films, y compris un film qu’elle a fait avec son mari qui
est une merveille et qui se nomme Les adieux à Matiora.
Donc nous continuons notre exploration du cinéma russe
où il y a tant de choses à découvrir.
Si tu devais présenter la maison d’édition sur
dix ans maintenant, quelles seraient les sorties
fortes ? Les coups de cœur personnels ?
Un qui me tient particulièrement à cœur, notamment parce
qu’on l’a mal vendu, c’est Mind Game. C’est un manga
mais qui ne brasse pas que le style du dessin manga
qu’on connaît, japonisant avec les
grands yeux, mais qui brasse tous
les styles d’animation différents
en faisant un hommage direct et
assumé au surréalisme.
C’est un film sur lequel j’ai eu
un gros coup de cœur, j’ai voulu
l’éditer tout de suite mais mal-
heureusement cela n’intéresse
pas beaucoup les gens. J’en suis
quand même très fier.
Dans les choses plus importantes,
il y a le coffret Jacques Rozier, bon
qui n’est pas très connu non plus.
C’est un cinéaste Nouvelle Vague,
mais il est plus dans la Nouvelle
Vague que les plus officiels comme
Truffaut ou Godard, car il a mis au
cœur de ses films le sens de la
liberté et de l’invention du cinéma
directement dans la rue plus que
les deux précités.
C’était très difficile à sortir dû
à sa personnalité compliquée,
donc on est les premiers à le
publier en vidéo après de longues
années d’attente. C’était aussi
une grande fierté.
En plus récent, un autre français,
très différent, mais au moins aussi
important si ce n’est bien plus : Jean
Epstein, cinéaste de l’avant-garde
française des années 10-20-30,
assez oublié car rien n’était sorti
en DVD sauf quelques éditions
confidentielles, alors que c’est
un des artistes français et même
mondiaux les plus important de
cette époque.
Il a inventé un nombre de choses
incalculables dans le cinéma.
ATYPEEK MAG #02
JANV./FEV./MARS 2017
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