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Quand toute une génération commet le même crime disque

Quand toute une génération commet le même crime disque

DU MOIS

avait désactivé l’ alarme d’ une sortie de secours, ou était parvenu à glisser les disques à travers l’ entrebâillement d’ une porte? Est-ce que par hasard quelqu’ un attendu à l’ extérieur, dans un angle mort des caméras, balançait les disques par-dessus la barrière comme un Frisbee?
Glover a commencé à réfléchir à la façon de s’ y prendre. Tout d’ abord, il allait devoir faire sortir les disques du contrôle d’ inventaire. De ce point de vue, le poste qu’ il occupait dans la ligne d’ emballage était parfait. Plus loin dans la ligne, les codes-barres des disques étaient scannés, puis les disques mis sous film et enregistrés dans l’ inventaire. Plus haut placé dans la ligne, il n’ avait plus accès au produit fini. La ligne d’ emballage était le seul endroit de tout le site où les employés rentraient en contact physique avec les disques assemblés.
Mieux encore, le travail sur la ligne d’ emballage était de plus en plus chronophage et complexe. C’ était l’ un des tout premiers effets secondaires du mp3, lequel était équivalent au compact disc du point de vue sonore, mais supérieur sur bien des aspects. Les fichiers n’ étaient pas seulement plus petits et plus abordables que le compact disc audio: ils étaient en sus reproductibles à l’ infini et absolument indestructibles. Les compact discs se rayaient, se fendaient en deux, on se les faisait voler en soirées, mais les mp3, eux, étaient éternels. Conséquemment, le seul avantage que présentait le compact disc, c’ était la satisfaction tactile de la propriété physique. La seule chose qu’ Universal avait encore à vendre, c’ était le packaging.
Quand Glover a commencé en 1994, le boulot était abrutissant. Tout ce qu’ il avait à faire, c’ était enfiler ses gants chirurgicaux et passer les boîtiers cristal dans la fardeleuse – et puis c’ est tout. Désormais, les albums avaient une petite touche artistique. Les disques eux-mêmes étaient dorés ou fluorescents, les boîtiers cristal étaient de couleur bleu opaque ou bien pourpre, et les pochettes d’ albums étaient d’ épais livrets imprimés sur du papier de qualité supérieure avec des instructions de pliage complexes. À chaque étape du processus, la complexité accrue augmentait les occasions de faire des erreurs, et on prévoyait désormais des dizaines, voire des centaines de disques supplémentaires à chaque pressage. Ces disques relevaient du surstockage délibéré, à utiliser en cas de besoin si un élément était endommagé ou maculé au cours du processus d’ emballage.
À la fin de chaque poste, le protocole exigeait que Glover apporte le surplus de disques à un broyeur de plastique, où ils étaient détruits. Le broyeur était un appareil extrêmement simple: une machine de la taille d’ un réfrigérateur de couleur bleu industriel, avec une fente d’ alimentation à l’ avant qui conduisait à un cylindre dentelé en métal. On balançait les disques dans la fente et puis le cylindre les réduisait en copeaux. Pendant des années, Glover s’ était contenté d’ observer la destruction de milliers de compact discs en parfait état dans les engrenages de la machine. Le temps passant, il a fini par se rendre compte qu’ il contemplait là un trou béant dans le régime de sécurité d’ Universal. Le broyeur était efficace, mais bien trop simple. La machine n’ avait pas de mémoire et ne générait aucun rapport. Elle menait son existence en dehors du processus de gestion d’ inventaire numérique du site. Si on vous ordonnait de détruire vingt-quatre disques surnuméraires et que vous n’ en glissiez que vingt-trois dans la fente d’ alimentation, personne ne le saurait jamais au service comptabilité.
Alors, ce que Glover a fait, c’ est ôter son gant chirurgical en même temps qu’ il tenait un disque surnuméraire sur le chemin qui le menait du tapis roulant au broyeur. Là, en deux temps, trois mouvements, il allait envelopper le gant chirurgical autour du disque et faire un nœud. Puis, tout en faisant semblant de mettre en route le broyeur, il allait ouvrir le tableau de bord, son réceptacle à déchet ou bien sa boîte à fusibles. Après avoir regardé rapidement autour de lui pour s’ assurer qu’ il était seul, il allait cacher le disque gantelé dans une petite fente de la machine et broyer tout le reste. À la fin de son poste, il retournerait à la machine et, au moment de l’ éteindre pour la journée, il récupérerait le disque planqué dans sa cachette.
Restaient les agents de sécurité et leur détecteur … Glover n’ avait pas envie de prendre de risques; même si Universal lui assurait posément que les détections se faisaient par tirage au sort, il savait qu’ ils avaient les employés de la ligne d’ emballage dans le collimateur. Il avait luimême été « tiré au sort » et passé au détecteur des centaines de fois. Mais dans le même temps que les agents observaient Glover, Glover les observait en retour, et un jour, presque par accident, il a fait une découverte intéressante. Glover portait généralement des baskets pour aller travailler, mais ce jour-là, il portait des chaussures de chantier avec des talons en métal. Quand on lui a tapé sur l’ épaule pour le passer au détecteur, l’ agent a scanné ses pieds et le détecteur a produit un son strident. L’ agent a demandé à Glover si les bottes avaient des bouts en métal, et Glover a confirmé que c’ était le cas. Et alors, sans l’ inspecter davantage, l’ agent l’ a invité à passer.
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