ACTES FIAPA | Page 63

convaincre . À vrai dire , une espèce d ’ urgence s ’ installe pour tout le monde . La pression monte , les conflits éclatent un peu partout . Nous sommes déjà à bout de nerfs . Moi-même je vais me disputer de manière assez véhémente avec une élue en charge des abris . Aucun n ’ est prêt , les lits de camps ne sont pas livrés , l ’ eau et la nourriture , quand il y en a , sont en quantité insuffisante .
Il est 17 heures . Il y a une réunion à la préfecture avec la COM et tous les services sanitaires . Mais les médecins généralistes n ’ ont pas été conviés . Nous allons être frappés de plein fouet selon les services de la météo . On nous explique le phénomène de l ’ œil du cyclone et l ’ accalmie qui n ’ en est pas une . Atterrés , nous prenons pleinement conscience de ce qui va arriver . Les météorologues affirment qu ’ en pleine mer , le cyclone est déjà catégorie 5 avec des vents à plus de 300km / h . En principe , en touchant terre , il prend une catégorie de plus .
Nous sommes censés rentrer chez nous et nous mettre à l ’ abri . Une date est prise pour une réunion post Irma le 6 septembre à la première heure , c ’ est-à-dire à 3H du matin , une heure après la fin de l ’ ouragan .
En sortant de réunion , je ne peux pas rentrer chez moi : je dois acheter à prix d ’ or les piles , les lampes torches , quelques vivres et de l ’ eau car je n ’ ai pas eu le temps avant .
Je passe par les arrière- cours car les magasins sont officiellement fermés , mais pour les ultras retardataires comme moi il y a toujours une possibilité avec néanmoins 30 % du prix en plus à payer .
Il est 22 heures quand je récupère mon amie d ’ enfance chez moi afin que nous allions nous mettre à l ’ abri . Je rejoins des amis qui vivent dans les hauteurs à flanc de colline . Nous sommes 10 en tout chez des personnes absolument adorables . Le mari est le directeur des services technique de la COM et la femme qui nous accueille est élue et enseignante au lycée général .
La maison est suffisamment grande pour que nous rentrions les voitures à l ’ intérieur . Ma voiture sans permis assez petite servira de table basse dans le salon . Sur la véranda , le double Pick Up , la voiture de fonction de la COM , est garé afin de pouvoir partir dès la fin du cyclone sans perdre de temps .
Il est presque minuit . C ’ est l ’ un des derniers échanges téléphoniques que j ’ aurai ce jourlà : c ’ est avec le mari de la secrétaire . Il me dit qu ’ il est chez une personne âgée grabataire qui vit en face de la mer sur une plage et que cette personne refuse de partir . Ce monsieur , prêtre à la retraite , grabataire à la suite de deux AVC , refuse de quitter son domicile . Il ne peut accomplir aucun acte de la vie courante sans aide . Seul son index a une certaine mobilité et il est scotché au bouton de commande de son fauteuil car sa main ne répond pas .
Ma réponse est la suivante : « Ce monsieur n ’ est pas d ’ accord et j ’ en prends note : étant donné qu ’ il ne peut marcher ni donner des coups , je t ’ autorise à le porter jusqu ’ à ton véhicule et le mettre à l ’ abri au presbytère . Je prends la responsabilité de cet acte .
Une fois que c ’ est fait , envoie-moi un texto vu que les communications commencent à être défectueuses . Je veux que dans 15 minutes tu sois à l ’ abri , le vent s ’ est levé ». Nous sommes à 4 heures d ’ un ouragan majeur et je viens de commettre ma première erreur , que dis-je ma première ignominie !
À 5 heures du matin , nous n ’ avons plus de courant , les communications sont totalement rompues , y compris les talkies walkies . Le temps passe lentement . Personne ne dort , le moindre bruit nous met en alerte . Nous assistons impuissant au dérochage des climatiseurs , à la perte des arbres . J ’ ai même vu des voitures tourbillonner dans les airs . Cela a quelque chose d ’ irréel ! Un tremblement de terre nous raccroche à la réalité .
Il est 10 heures quand nous atteignons l ’ œil . On a beau me l ’ avoir expliqué , c ’ est compliqué de se dire que ce n ’ est pas fini alors même que les oiseaux sont de nouveau là et chantent . Plus une once de vent ni de pluie . Nous en profitons pour colmater les entrées d ’ eau car la toiture s ’ est envolée au dernier niveau .
Vers 15 heures , c ’ est de nouveau l ’ enfer , mais en pire . Si , cela est possible ! Les vents sont plus violents , la pluie aussi . Un autre tremblement de terre survient . Nous ne le reconnaissons pas tant l ’ habitation tremble de toute part . Nous perdons les volets , qui s ’ arrachent les uns après les autres .
Nous sommes le 6 septembre , il est 6 heures du matin et le soleil se lève plus beau et majestueux que jamais sur des eaux très foncées . La mer est calme . On dirait une flaque d ’ huile . Il n ’ y a pas de vague .
Nous sortons enfin de la maison . « Enfin » est un grand mot ! Nous rampons parmi la multitude des débris qui jonchent les alentours pour sortir de la
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