6 compagnons défi
LE PAIN À L ’ ÈRE du coronavirus
L ’ invisibilité s ’ est visiblement invitée dans nos vies prévisibles . Depuis quelques semaines , un virus que l ’ on ne peut voir est venu réveiller le pain que l ’ on ne voyait plus . Malgré les ravages sanitaires et sociétaux qu ’ il a engendrés , ce Covid-19 a permis de redonner quelques lettres de noblesse à cet aliment que notre modernité consumériste avait décidé de bouder . Le dernier iPhone stimule bien plus l ’ intérêt collectif que la dernière boule au levain cuite par le boulanger d ’ à côté . À notre époque où le virtuel triomphe sur le vital , le pain n ’ occupe plus la place essentielle qui était la sienne en tant que nourriture de base . Piégé dans son immuabilité et son humilité , il est devenu banal et ringard .
T out sépare pourtant ce virus du pain . Le premier est un germe pathogène alors que le second est le fruit d ’ une flore microbienne bénéfique . Le premier tue alors que le second nourrit . Le premier rappelle la peste et la famine alors que le second évoque santé et prospérité . Le premier étouffe alors que le second respire . Le premier effraie alors que le second apaise . Le premier confine alors que le second libère . Le premier s ’ attaque aux personnes fragiles et âgées , alors que le second s ’ offre à eux . En un mot , le premier incarne la mort alors que le second symbolise la vie . Les vertus du pain sont donc légitimement réapparues avec l ’ apparition du coronavirus . Il s ’ est ainsi avéré un remède capable de soigner indirectement les maux provoqués par ce bacille contagieux . Le pain a su sortir de l ’ ombre et reprendre sa place .
Au début de cette pandémie , une partie de la population , inquiète des approvisionnements , s ’ est ruée dans les grandes surfaces . Mais le pain ne possédait malheureusement pas les propriétés de conservation des pâtes alimentaires ou du papier hygiénique . Il fallait garder les pieds sur terre , revenir aux fondamentaux . Abandonné depuis des décennies à son labeur au cœur du village , le boulanger a retrouvé une légitime considération . Comme dans un mouvement instinctif , presque atavique , les gens ont eu besoin de lui autant que du pain . L ’ historien Steven Kaplan l ’ explique parfaitement en rappelant que
Le personnel de vente a été équipé de visières .
« Les boulangeries sont un quasi-service public . Lors des crises , elles doivent rester ouvertes comme la station de pompiers ou la pharmacie . L ’ État providence en France , c ' est celui qui assure le pain quotidien ». Dans ce « nouveau monde », les « premiers de cordée » se virent évincés par « les premiers de corvée ». Le mineur blanc regagnait la lumière . Son métier se transformait en mission .
LES BOULANGERIES EN PREMIÈRE LIGNE Dès l ’ annonce du confinement le 17 mars , les 30 000 boulangeries-pâtisseries françaises , reconnues indispensables , ont été autorisées à rester ouvertes . De l ’ autre côté de l ’ Atlantique , Première Moisson , leader de la boulangerie artisanale québécoise où je travaille , a aussi été identifié comme commerce « essentiel » par le gouvernement provincial . Ce fut un soulagement qui engendra un bouleversement organisationnel sans précédent . En un temps record , il a fallu adapter à des exigences considérables nos 25 boutiques , situées dans la grande couronne de Montréal , Québec et Gatineau . Alors que certains de nos concurrents décidèrent de baisser le rideau , nous avons répondu présents pour notre pérennité et nos clients , en plaçant le pain au cœur de notre décision .
# 297 / Juin 2020