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INTERVIEW
DANS LE VERT
Tu écris sur la mer depuis plus de 40 ans , ce livre c ’ est le résultat de 40 ans de passion et de recherche ? Oui mais c ’ est pas un résultat . Je me suis rendu compte il y a quelques années que j ’ avais consacré tous mes bouquins à l ’ océan , et ce n ’ était pas fait sciemment . Donc oui j ’ écris sur l ’ océan . Et dès que l ’ on parle de l ’ océan , le discours est souvent alarmiste . J ’ ai trouvé plus intéressant d ’ en parler de manière positive . D ’ ailleurs , le livre démarre avec deux citations . La première de Voltaire : « J ’ ai décidé d ’ être heureux parce que c ’ est bon pour la santé . » Et la seconde de Catherine Chabot , une grande navigatrice qui œuvre beaucoup pour l ’ océan : « s ’ attaquer aux solutions plutôt qu ’ aux problèmes . » C ’ est ce qu ’ il faut faire aujourd ’ hui . Les problèmes , on les connaît . Plutôt que de tourner toujours autour , il faut s ’ attaquer aux solutions . L ’ énergie vitale , c ’ est ça . On est sur terre pour prendre notre pied . Cela fait des années que je compile des initiatives positives pour ce livre . Il n ’ est pas exhaustif car des choses fleurissent partout et c ’ est tant mieux !
Est-ce que le titre du livre et cette orientation positive sont un clin d ’ œil au film Demain , de Cyril Dion et Mélanie Laurent ? Bien sûr . Surtout par rapport au succès qu ’ il a eu et au message qu ’ il porte . Il y a un mot qu ’ il faut retenir dans tout ça , c ’ est la permaculture . Si on sait mettre les bonnes plantes côte à côte , elles poussent mieux . C ’ est valable aussi pour les océans . Aujourd ’ hui , il existe une aquaculture inspirée de la permaculture , c ’ est l ’ aquaculture multitrophique intégrée . L ’ exemple que la permaculture , on peut la pratiquer au niveau des individus , des idées et de l ’ océan aussi !
Pourquoi commencer par expliquer comment l ’ Homme appréhende le milieu subaquatique ? Parce que pour pouvoir faire quoi que ce soit avec l ’ océan , il faut commencer par y mettre un pied , puis le corps , et puis la tête . Je raconte , par exemple , comment les enfants Moken des peuples de l ’ eau ont fini par s ’ adapter , à un point qu ’ ils voient aussi clairement sous l ’ eau que sur terre . Une chercheuse allemande en a fait l ’ expérience avec des enfants en piscine et ils arrivaient à lire sous l ’ eau en 3 mois à peine . C ’ est un début d ’ adaptation . L ’ apnée aussi nous rapproche des cétacés . Certains apnéistes plongent aussi profond et aussi longtemps qu ’ un dauphin . C ’ est un moyen de " s ’ océaniser ", se rapprocher de l ’ océan . Et c ’ est le plus simple , sans outil .
Tu expliques aussi que la protection des animaux emblématiques comme les dauphins , les baleines , les requins concentrent la plupart des mouvements de protection du 20 ème siècle . C ’ est ce que j ’ appelle les animaux-totem . Ce sont des animaux comme le dauphin , la baleine et et le requin qui ont fait que les gens se sont vraiment mobilisés . Quand je fais des animations en milieu scolaire , les enfants me demandent quel est mon animal marin préféré et je leur réponds l ’ anchois ou la puce de mer . Cela permet d ’ aborder la chaîne alimentaire . C ’ est facile d ’ aimer la baleine . Mais sans plancton , pas de baleine !
Dans le chapitre sur la biodiversité , tu rappelles que l ’ océan demeure inexploré à 95 % tandis que la planète Mars est entièrement cartographié . Comment expliques-tu ce paradoxe ? Ce que l ’ on cherche dans l ’ espace , c ’ est de l ’ eau . On a envie de leur dire « oh hé , faites deux pas , vous trouverez » ! Le secret de l ’ océan , c ’ est que sa frontière est un miroir . On peut le ravager avec des chaluts notamment ; la sur-pêche est l ’ urgence absolue . Il y a des ruptures de biomasse , c ’ est dramatique .
Tu abordes les propositions de bateaux écolos et de green surf . Quel projet trouves-tu le plus intéressant dans ce domaine ? Le parcours de François Jaubert , par exemple , un brillant architecte qui se lance dans une quête alchimique : trouver dans des poubelles des choses qui lui permettent de faire des planches de surf , notamment des cartons qu ’ il taille . On écrit un film qui devrait être présenté au Festival International du film de surf d ’ Anglet . Et il y a aussi un vrai mouvement pour l ’ océan , ce sont les sciences participatives . Tout à chacun , surfeur , internautes ou amoureux de la mer , peut faire des choses pour l ’ océan via Internet mais pas seulement . Smartfin , la dérive intelligente avec des capteurs qui collectent de nombreuses données , fixée sur une planche de surf , est une superbe avancée dans ce domaine .
Dans ton livre , il est question aussi d ’ océanisation , tu peux nous expliquer en quoi cela consiste ? C ’ est vraiment tout ce vers quoi mes livres convergent . Ce n ’ est pas un vœux pieu c ’ est un constat : on n ’ a pas de futur si on ne s ’ océanise pas . Tout sort de l ’ océan et on tourne le dos à l ’ océan . Il représente les 2 / 3 de la planète , il devrait être partout dans les livres , en histoire , en géographie , en politique . L ’ océanisation , c ’ est prendre conscience qu ’ il faut le sauver . Prendre conscience que l ’ on peut en vivre , avec les énergies marines renouvelables par exemple . Une étude démontre qu ’ avec une ferme d ’ éoliennes offshore grande comme l ’ Inde , on peut donner de l ’ électricité à toute la planète . Elles fournissent 30 % d ’ énergie supplémentaire que celles de terre . Et il s ’ avère que l ’ environnement dans lequel elles sont situées est beaucoup plus riche en vie sous-marine donc elles ne le perturbent pas , bien au contraire . L ’ océanisation , c ’ est ça aussi , tirer des ressources de l ’ océan sans l ’ épuiser . C ’ est le cercle vertueux , toujours le principe de permaculture , ce qui est bon pour l ’ océan , peut être bon pour nous .
Propos recueillis par Élise Laven Retrouvez l ’ intégralité de l ’ interview sur waveradio . fm