Tribulations d’une cycliste urbaine / Geneviève Lefebvre
– Tu pédales avec ça ?!?
«ça.»
Ça, c’est-à-dire des talons hauts. Des escarpins,
pour être plus précise. Qui vont avec la petite
jupe élégante, les cheveux en chignon bas
(casque de vélo oblige) et du rouge à lèvres
(toujours se faire voir des automobilistes).
J’ai un rendez-vous de théâtre dans le
Quartier des spectacles, alors oui, je pédale
en tenue de ville… Je ne vais quand même pas
aller au théâtre « clippée » et en cuissards de
vélo !
Pas une seconde il ne me serait venu à l’idée
de me rendre au théâtre autrement qu’à vélo.
Pour l’urbaine que je suis, c’est le mode de
transport le plus rapide, le plus efficace
et le plus écologique pour à peu près
toutes les destinations et toutes les
occasions.
Il faut dire que mon Opus de ville
est une monture parfaite, un compagnon
de route et de vie à toute épreuve. Carrosse
noir et fauve pour les sorties élégantes,
VUS pour les longs déplacements et les
pique-niques sur le mont Royal, utilitaire
tout court pour faire les courses (le panier
a la capacité de contenir tous les ingrédients
nécessaires à la fabrication d’un carbonara,
en plus d’une bouteille de ce délicieux
chardonnay de l’Oregon), mon Opus
s’est même déjà transformé en trac-
teur pour transporter des sacs de
terre à jardin au moment des semis.
C’est à la fois un cheval de labour et
un gentleman des grandes sorties,
qui me permet de dévaler la piste de la rue
Berri jusqu’à celle du boulevard de Mai-
sonneuve, et hop ! de le garer en quelques
secondes, gratuitement. Grâce à lui, j’ai accès
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VILLE À VÉLO
HORS-SÉRIE VÉLO MAG
Non. Si marcher en talons hauts reste
hasardeux, pédaler est la chose la plus
facile au monde.
En vélo, le talon haut est même un
avantage. Chaque fois qu’on met le pied
à terre, le talon sert de petit escabeau,
dispensant d’avoir à se soulever de la
selle quand on doit s’arrêter (sou-
vent). C’est, pour ainsi dire, le meil-
leur ami de la cycliste en tenue de
soirée.
Et pour pédaler ?
Aucun souci. Comme on pousse déjà
sur la pédale avec l’avant-pied, en
laissant le talon hors de la pédale, ça
ne change strictement rien à l’affaire.
Après une soirée haute en culture
et deux verres de pinot grigio dans
le nez, ça fait toujours un petit velours
de monter la côte Berri sans même
se lever en danseuse, la jambe alerte,
le cardio en joie et le talon guilleret.
Et se coucher le cœur content,
en sachant qu’encore une fois, on
a réussi à conjuguer deux plaisirs,
la culture et le sport, qui vont
très bien ensemble, sans sacri-
v
fier une once d’élégance. ●
à la culture sans que ça me coûte un sou en
déplacement.
Oui, mais en ballerines plates, ce ne serait
pas mieux ?
PRINTEMPS/ÉTÉ 2018
Note de l’auteure : cette chronique a été écrite
au lendemain de l’élection de Valérie Plante à la
mairie de Montréal. Valérie Plante, une cycliste,
une triathlète et une citoyenne qui a fait campagne
à vélo et en jupe.