ToutMa ToutMa n°52 - Novembre 2018 / Janvier 2019 | Page 44

histoire NOTRE PATRIMOINE TEXTE _Romain BONY-CISTERNES PHOTOS DES SANTONS _ SANTONS MARCEL CARBONEL www.santonsmarcelcarbonel.com Les santonniers de Provence gardiens d’une tradition séculaire Le 61 e Salon international des santonniers se tient à Arles jusqu’au 13 janvier 2019. Plus importante exposition du genre en Europe, ce salon constitue, de- puis 1958, un incontournable de cet art typiquement provençal. Et ce n’est pas Marseille, une fois n’est pas coutume, mais Arles qui sera proclamée capitale du santon de Provence. Avec l’arrivée des festivités de fin d’année, à l’heure où fleurissent les marchés de Noël dans toute notre région, nous avons décidé de vous conter l’histoire ancienne des santonniers de Provence. C ar derrière ces statuettes moulées dans l’argile, qui nous émerveillent depuis le Moyen-Âge et nous rappellent à nos bons souvenirs d’enfance, se cachent de grands artistes qui, s’ils demeurent lar- gement méconnus du grand public, sont dépositaires d’une tradition et d’un art séculaires. À tel point que, face à l’influence grandissante des « industries de Noël », il fallut, dès les années 1960, promouvoir le métier de santonnier et ses créations au travers de structures capables d’en assurer la rayonnement, ce qui fut fait avec le salon, fondé par l’un des plus cé- lèbres (quoique peu connu) santonniers de Provence, Marcel Carbonel, qui souhaitait « qu’il y ait en Arles, capitale spirituelle de la Provence, une repré- sentation permanente de nos santons dans le but d’une confrontation artistique féconde ». A rles n’est, pour autant, pas la seule vitrine de l’art santonnier. En témoigne la vivacité des manifes- tations organisées dans la ville de Pagnol, Aubagne, dont le proche massif de l’Étoile constitue une source d’inspiration certaine, et qui accueille la Cité de l’art santonnier. Un savoir-faire ancestral A lors, qui sont-ils, ceux dont on connait les créa- tions mais rarement les visages ? Restent-ils à l’écart des foules qui investissent les marchés de Bartoumieu Noël, dans le confinement de leur atelier, travaillant patiemment l’argile, ou assurent-ils la promotion de leur art, menacé par la production industrielle ? C e sont avant tout des artisans, dont le très petit nombre, conséquence directe du caractère aty- pique et ancestral de leur savoir-faire, nous donne à penser que leur talent relève davantage du don que d’un véritable apprentissage artisanal. Il existe même une fameuse Confrérie nationale des métiers de l’art santonnier… Ne maîtrise pas l’art du « santoun » (petit saint) qui veut. D e nos jours, on compte environ 150 santon- niers dont la majorité se trouve à Aubagne, qui compte quinze ateliers. Ce sont essentiellement des entreprises familiales de très petite taille. À travers l’histoire des familles de santonniers, c’est tout un pan de l’histoire de Provence, depuis le XIX e siècle, qu’on peut apercevoir. L es principales qualités du santonnier se mesurent à l’aune de son intérêt pour le travail de la terre, son habileté manuelle et sa précision. Il n’existe au- cune formation au métier de santonnier d’art, ce sa- voir-faire se transmet essentiellement au sein de la fa- mille et ce dès le plus jeune âge. Cependant, quelques formations de tournage en céramique, de décoration ou encore de modèles et moules existent et peuvent aider à la pratique du métier. Ravi Femme à la jarre M arcel Carbonel (1911-2003), dont le petit-fils Philippe Renoux-Carbonel poursuit au- jourd’hui l’œuvre, est le santonnier le plus célèbre de ces dernières décennies. Fidèle aux valeurs du santonnier traditionnel, il a développé une véritable entreprise, par essence lucrative, et a réussi le pari de produire une quantité importante de santons tout en préservant les méthodes ancestrales qui permettent de garantir à son travail une réelle qualité artisanale. A u départ de cette aventure, il s’installe avec son épouse dans un petit atelier de la rue Fort- Notre-Dame à Marseille. Il emploie pour le seconder deux décoratrices ainsi qu’un mouleur et l’entreprise rencontre, peu à peu, le succès. En 1938, la famille remporte le premier prix du Concours de parures de France, catégorie santon. Mais c’est après-guerre que l’entreprise connaît un véritable essor grâce à la stan- dardisation des pièces et au bouche à oreille. L’atelier prospère et s’installe, en 1946, rue du Commandant de Surian. Grâce au talent des artistes, le métier de santonnier commence à être reconnu. En 1995, la collection de santons des Ateliers Marcel Carbonel est riche de plus de 700 modèles différents, devenant ainsi la plus importante de Provence. Aujourd’hui, l’entreprise installée rue Neuve Sainte-Catherine compte près de 80 employés, produit plus de 350 000 santons par an, dont 30 % sont exportés en Europe, aux États-Unis, au Japon... Un art à défendre L ’art santonnier rayonne bien au-delà de la maîtrise des techniques de sculpture de la terre. Il exige, outre la minutie et la précision de l’artisan, cantonné au travail sur de petites surfaces, la fabrication de la vêture des personnages et une reconstitution physique (décors, habitations, paysages) aussi bien qu’histo- rique. Pour ces raisons, il est rapidement apparu pri- mordial de protéger ce savoir-faire des reproductions édulcorées réalisées par une industrie de Noël peu soucieuse des traditions. I l fallut donc créer des structures permettant aux santonniers de se regrouper et d’unir leurs forces pour faire reconnaître leur art et le défendre. Plusieurs actions furent entreprises en ce sens. Les santonniers se constituèrent, dans un premier temps, en un syndi- cat. Sa présidence fut, à partir de 1947 et pendant 21 ans, assurée par Marcel Carbonel, dont la notoriété et Décembre 2018 / Janvier 2019 _TM n°52 42 Retrouvez tous nos reportages sur www.toutma.fr