ToutMa ToutMa n°43 - Février / Mars 2017 | Page 22

histoire

L ’ IMMIGRATION ITALENNE
TEXTE _ Jacques LUCCHESI

L ’ immigration italienne à Marseille

De toutes les communautés qui forment l ’ identité métissée de Marseille , les Italiens sont sans doute les plus nombreux . Retour sur l ’ histoire d ’ une intégration particulièrement tumultueuse .

Marseille , ville d ’ immigration : cela ne surprendra personne car le mélange y est la règle . L ’ altérité est même inscrite dans le récit de ses origines , avec la rencontre du Phocéen Protis et de la princesse Gyptis . Sans remonter aussi loin , la ville fut - et reste - une plaque tournante du commerce avec les peuples du bassin méditerranéen . Cette situation devait entraîner une importante circulation humaine , même le temps d ’ une escale . Et c ’ est sans parler des mouvements migratoires en provenance du nord et de l ’ intérieur des terres . Pour autant , ces voyageurs étrangers ne faisaient que rarement souche . Les choses vont changer au XIX ème siècle , avec le développement de l ’ industrie et du port . Le besoin d ’ une main d ’ œuvre , périodique ou durable , va se faire de plus en plus pressant , générant un accroissement de la présence étrangère . De toutes les nations représentées à Marseille , c ’ est l ’ Italie - pays alors pauvre et morcelé - qui va fournir le plus gros contingent d ’ immigrés . Bien avant les Espagnols , les Arméniens et les Maghrébins , les Italiens connurent ici toutes les vicissitudes de l ’ exil et de la xénophobie avant de s ’ intégrer à la population locale . Nous allons tenter d ’ en retracer les principales étapes .

Premières vagues migratoires

Vers 1830 , Marseille est une ville prospère qui compte 130 000 habitants . Parmi eux , on dénombre environ 10 000 étrangers . C ’ est peu , par

Février / Mars 2017 _ TM n ° 43
Famille Napolitaine © collection des cartophiles marseillais
rapport à leur nombre décuplé moins d ’ un siècle plus tard . Que font-ils donc , pour la plupart ? Du négoce , évidemment . Comme ces juifs Séfarades qui étaient déjà là sous l ’ Ancien Régime . Comme ces Grecs et ces Levantins qui sont venus plus tardivement , dans les années qui ont suivi la Révolution française . Comme ces Anglais , ces Allemands et ces Autrichiens que l ’ on trouve , à des postes importants , dans le courtage et l ’ industrie . Il y a les Suisses aussi , petite communauté très présente dans la finance , la joaillerie et l ’ hôtellerie . Ils sont d ’ ailleurs prisés par les notables marseillais qui vantent leur rigueur et leur honnêteté : « Si tous les ouvriers étaient comme eux … Surtout ces diables d ’ Italiens - des Piémontais et des Génois , principalement - dont on ne sait trop ce qu ’ ils fuient et ce qu ’ ils sont venus chercher ici . » Qu ’ à cela ne tienne : le travail ne manque pas . Car en ce début du XIX ème siècle , Marseille est en pleine expansion . La conquête de l ’ Algérie a ouvert de nouveaux débouchés pour les transports maritimes ( pour l ’ heure ce sont des Français qui font le voyage ). Partout on construit des raffineries , des savonneries , des tuileries , des minoteries . Et , forcément , il faut une main d ’ œuvre robuste et bon marché pour faire du rendement et des bénéfices . Les Italiens vont constituer cette armée de réserve . Des quartiers ouvriers se forment autour des zones industrielles : Saint-Charles , la Joliette , Arenc , Saint-Henri . Plus tard , les Toscans se regrouperont à la Belle de Mai . Tandis que les Napolitains et les Siciliens , peuples de pêcheurs , se concentreront près du Vieux- Port .
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De rudes existences

Si la littérature du XIX ème siècle ( Hugo et Zola , en particulier ) nous a familiarisés avec la souffrance des pauvres dans le Nord , il ne faudrait pas croire que les conditions de travail étaient plus douces à Marseille . Quand un ouvrier français touchait 5 francs par jour , un Italien ne percevait que 2,5 à 4 francs . Les journées étaient longues - dix à douze heures - avec un seul jour de repos par semaine . Et pas de protection sociale , vacances ni retraite , bien sûr , sinon sous forme de mutuelles . On se demande comment beaucoup d ’ entre eux arrivaient à envoyer un peu d ’ argent aux parents restés au pays . Bien entendu les tâches les plus pénibles et les plus dangereuses leur étaient réservées : comme le nettoyage des fours à chaux et autres déchets

Le travail des enfants italiens dans les verreries
industriels hautement toxiques . Malgré tout , quelquesuns , mieux formés , pouvaient accéder à des emplois moins ingrats , comme la poterie et la verrerie . Quand ils ne travaillaient pas , les hommes fréquentaient les cafés et les cabarets davantage que les églises ! Ils se retrouvaient aussi dans des amicales , des banquets et des fanfares . Progressivement , bon nombre d ’ Italiens vont sortir de ce système éreintant pour créer leurs propres entreprises ( maçonnerie , ébénisterie , ferraille ) et leurs commerces ( boulangeries , charcuterie , épicerie ). Ainsi , une famille comme les Scaramelli fera fortune avec les pâtes du même nom . Mais très rares sont ceux , comme les Borelli et les Alatini , qui s ’ intègreront à la haute
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