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CINÉMA
ENTRETIEN _Céline BOUCHARD
PHOTOS _Sylvie CASTIONI
Hafsia HERZI
la profondeur des sentiments
À tout juste 32 ans, la comédienne originaire de Marseille vient de réaliser son premier
long métrage. D’emblée sélectionné au Festival de Cannes, le film est ovationné et
cumule les éloges... Une première consécration pour Hafsia Herzi en tant que réalisa-
trice. Tu mérites un amour est une quête du bonheur amoureux.
Derrière comme devant la caméra, Hafsia est visiblement en état de grâce, incarnant,
dans ce rôle plus vrai que nature, l’expression d’un amour blessé. Récit autobiographique ?
On a bien envie d’y croire, même si la jeune cinéaste s’en défend. Modernité, sensua-
lité, érotisme, réalisme, diversité, générosité, tendresse, férocité, jeunesse sont les mots
qui viennent à l’esprit pour illustrer l’ambiance de ce premier film dans lequel on sent
l’influence indirecte de son mentor, Abdellatif Kechiche. Mais avec des cadrages plus
serrés, où la douceur et la féminité l’emportent. Les scènes sont plus courtes, plus rythmées.
Amitié sincère et humour décapant sont également au rendez-vous. Tu mérites un amour
est un titre étrange, mais quand on apprend qu’il est tout simplement celui d’un poème
de Frida Kahlo, pasionaria de l’amour dont le cœur fut brisé à jamais... Il prend alors
tout son sens !
ToutMa : Réaliser un premier film, sur un coup de tête,
et monter les marches dans la foulée... ça fait quoi ?
Hafsia Herzi : C’est beaucoup d’émotion... Surtout
quand on est sélectionné par le Festival, malgré un film au
sujet pas très vendeur et sans aucun acteur « bankable ».
Être dans la compétition, c’est bénéficier de tous les avan-
tages : une visibilité liée à la projection officielle, une vraie
critique professionnelle et des retours dans la presse natio-
nale et internationale. Tout cela permet au film d’exister
tout de suite ! Monter les marches correspond à tout autre
chose... En général c’est réservé aux têtes d’affiche dont
les projections ont lieu en soirée. J’ai demandé à Thierry
Frémaux, le délégué général, si je pouvais monter les
marches un soir avec mon équipe, pour se montrer et
qu’on parle du film encore une fois. Il a bien sûr accepté
et c’était extra de s’entendre annoncés sur le tapis rouge...
Un beau souvenir pour nous tous.
Jérémie Laheurte et Hafsia Herzi
TM : Que représente le Festival de Cannes pour toi ?
HH : C’est le deuxième plus grand festival de cinéma
au monde, avec la Mostra de Venise, le plus ancien. Mais
Cannes est certainement le plus médiatisé. Pour un film
comme le mien, c’est l’idéal. On arrive en tant que jeune
auteur avec des acteurs inconnus et on est vu par des pas-
sionnés de cinéma. Les gens qui sont dans les salles de
Été 2019 _TM n°55
projection à Cannes viennent vraiment voir le travail des
réalisateurs. C’est quand même génial !
TM : C’est quoi la Semaine de la critique à Cannes, pour
les néophytes ?
HH : C’est une sélection parallèle, pour des premiers
films qui concourent pour la Caméra d’or, comme Un
certain regard et la Quinzaine des réalisateurs, deux
autres sélections. L’an dernier il y avait Shéhérazade par
exemple, qui a eu un prix... Il y avait Guy aussi, qui a
obtenu le César du meilleur premier film ensuite. Pour
moi, la Semaine de la critique est l’une des meilleures
sélections, la plus prestigieuse en tout cas.
TM : Ton film peut-il concourir pour les César, toujours
dans cette catégorie du meilleur premier film ?
HH : Bien sûr, il est complètement éligible. Il sort en
septembre donc il peut concourir en 2020. Il faut quand
même que je l’inscrive (rires)… Cela dit, cette année, il y
a beaucoup de concurrence. Je pense au film Les Misérables
de Ladj Ly, et aussi à celui de Mati Diop, Atlantique,
qui a eu le Grand Prix du Festival... Après, tout est une
question de sensibilité. C’est pour cette raison que je ne
suis pas déçue de n’avoir pas obtenu la Caméra d’or. Les
sujets traitant d’une actualité sensible touchent davan-
tage, surtout à Cannes !
TM : Comment as-tu choisi tes acteurs ?
HH : Au feeling, vraiment ! C’est un projet que j’ai lan-
cé très rapidement. À l’humain en fait ! En rencontrant
des gens qui m’avaient marquée, d’autres qui semblaient
motivés... Je n’aime pas trop les castings classiques. Je
fonctionne davantage à l’instinct.
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Lina & Mouna Soualem et Hafsia Herzi
TM : Quelle est ta scène préférée dans ce film ?
HH : (soupir d’hésitation) C’est difficile. Moi, je vais dire
que j’aime tout, car j’ai tout filmé, tout choisi, j’ai beau-
coup coupé aussi... Donc ça signifie que je n’ai pas gardé
ce que je n’aimais pas. J’ai un faible pour une des scènes
finales, lors de la lecture d’un poème quand l’héroïne
réalise qu’il répond à toutes les questions qu’elle s’est
posées. Cette scène-là était très importante pour moi.
Quand on tourne, on est seul face à son œuvre. On a
toujours peur de dérailler, de virer à l’obsession (rires). Et
les choix sont toujours très difficiles à faire ! Je crois que
si le film n’avait pas été sélectionné à Cannes, je serais
encore en tournage...
TM : Tu as eu énormément d’articles dans des journaux
importants tels que Libération, Le Monde, Le JDD... Quelles
sont les critiques qui t’ont émues ?
HH : Toutes ! Car elles sont toutes vraiment positives.
Jusqu’à maintenant en tout cas ! Le film sort en septembre,
il y en aura donc d’autres. Mais c’est touchant d’être ac-
ceptée en tant que metteur en scène, surtout lorsqu’on est
d’abord une actrice. Et tant qu’on n’a pas été confronté au
spectateur, on ne sait pas. Là, grâce à cette sélection, à cet
accueil médiatique, je me sens légitime...
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