histoire
NOTRE VILLE
TEXTE _Romain BONY-CISTERNES
Marseille,
berceau historique
de l’huile d’olive
Dans son Ethnocuisine de Provence, Maguelonne
Toussaint-Samat parle de « sa majesté l’olive » et
René Jouveau, dans La Cuisine provençale de tradi-
tion populaire, vante « ce fruit qui donne l’huile dont
toute la cuisine provençale est parfumée ».
S
C
i nous autres, Provençaux, la connaissons sous toutes ses formes dans
notre assiette, savons-nous vraiment d’où vient cette huile d’olive
sans laquelle notre cuisine ne serait certainement pas ce qu’elle est ?
Savons-nous, par surcroît, à quel point notre ville a été essentielle à son
rayonnement ? Car si dans l’imaginaire collectif « l’huile d’olive » rime
souvent avec « cuisine grecque » et, notamment, « crétoise », n’oublions
pas que ce sont ces mêmes Grecs qui, voilà bien deux mille six cents ans
et des poussières, ont fondé Marseille. CQFD.
exploitation au centre de notre culture culinaire. Ce n’étaient pourtant pas les conditions
climatiques (les contreforts des Alpilles, par exemple, parfaits pour l’épanouissement des
oliviers) qui faisaient défaut mais, plutôt, la main de l’homme, les techniques d’extraction
et, surtout, une véritable demande des consommateurs de l’époque. Ce n’est qu’entre la
fin du xviii e et le début du xix e siècle qu’elle a véritablement conquis les territoires proven-
çaux. Cet essor de l’huile d’olive dans notre région est très largement lié à son utilisation
dans la fabrication du savon, dont elle constitue le composé principal, selon la recette
traditionnelle. Et c’est le savon, davantage que la cuisine, qui liera le destin de Marseille à
celui de cet élixir de soleil.
’est précisément l’arrivée des Phocéens à Marseille, il y quelque vingt-six siècles, qui
a permis le développement, en France, de la culture de l’olivier. On dénombre de
nos jours plus de 3,5 millions de ces arbres en Provence, ce qui place l’Hexagone parmi
les dix premiers pays du monde pour sa culture. Nous nous faisons, en effet, ravir les pre-
mières places par l’Espagne et l’Italie, premiers producteurs d’olives dans le monde, puis
par la Grèce, la Turquie, la Tunisie et le Maroc. L’on notera que sur 830 millions d’oliviers
cultivés dans le monde, 90 % sont répartis sur le bassin méditerranéen. Il faut dire que
cette position est, d’un point de vue économique, en adéquation avec la consommation
moyenne d’huile d’olive qui, en France, n’est contre toute attente que de 0,5 litre par an
et par habitant, alors qu’elle atteint respectivement 19 et 11 litres en Grèce et en Italie.
Ces chiffres ne tiennent cependant pas compte de la surreprésentation de l’huile d’olive
dans la cuisine provençale, à l’opposé de celle de nos amis du Nord qui lui préfère, et de
loin, le beurre.
Marseille et l’huile d’olive :
un destin commun scellé par le savon
M
ais, me direz-vous, que vient faire le savon dans cette histoire ?
Venu d’Alep, en Syrie, le fameux savon, composé d’huile d’olive
et d’huile de baies de laurier, de sel, de soude et d’eau, débarque chez
nous à l’époque des croisades. Ainsi, à partir du xii e siècle, les premières
savonneries apparaissent, tout d’abord à Toulon, puis à Marseille. Plus
tard, aux xvi e et xvii e siècles, l’industrie se développe et s’organise, no-
tamment grâce à un édit de Colbert qui, en 1688, réglemente
la fabrication du savon de Marseille et protège les savonneries
de la ville. Le texte précise également les matières premières à
utiliser. Il met en avant celles issues des cultures locales : l’huile
d’olive pure provenant de Provence, ainsi que le sel et la soude
directement acheminés de Camargue.
A
lors, face à ce chiffre presque injuste, nous avons cru bon de rappeler à nos chers
lecteurs que, sans Marseille, point de salut pour l’huile d’olive ! Car ce n’était pas
tout d’avoir, pour les Grecs, importé les oliviers ou découvert ceux qui, présents dans
le bassin phocéen, n’étaient pas exploités par la main de l’homme : encore fallait-il en
exploiter le fruit avec un savoir-faire sans faille, avec des techniques qui se sont moder-
nisées au fil du temps.
L’huile d’olive dans l’Antiquité :
entre mythes et vie quotidienne
D
ans l’Antiquité, l’huile d’olive était un objet de commerce
courant, et l’on retrouve sa trace dans l’histoire de la Grèce
ancienne : elle servait aussi bien de combustible pour l’éclairage que
d’onguent pour les athlètes du gymnase, de baume salvateur dans différentes préparations
médicinales, quand on ne l’utilisait pas, bien sûr, comme composant de base dans la cui-
sine. L’Ancien Testament n’est pas, quant à lui, avare de références à ce liquide presque
sacré, puisqu’il sert de base à la préparation de nombreuses onctions religieuses dans le
christianisme et le judaïsme. La légende dit qu’après le déluge une colombe apporta à Noé
un rameau d’olivier pour lui annoncer le retrait des eaux. Dans l’Islam, l’huile d’olive est
réputée avoir la « baraka », une puissance magique.
Usine Rocca, Tassy & de Roux - Huileries de Marseille
P
D
ourtant, à cette époque, en Provence, l’huile d’olive ne rencontre pas un franc succès.
Il fallut du temps pour que le travail de la nature (et celui des hommes) ne place son
Avril / Mai 2019 _TM n°54
u milieu du xix e siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale, les savonneries marseil-
laises se multiplient. Il en existera en tout plus d’une centaine. Elles sont puissantes
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