Test Drive Lettre de l'Odéon #9 | Page 6

les bibliothèques fleury en scène 6 samedi 29 mars / 15h et 18h le vestiaire 7 29 mars – 7 mai 2014 «faire tout avec rien» au Théâtre de l'Odéon – salon Roger Blin tarif unique 6€ 01 44 85 40 40 – theatre-odeon.eu entretien avec Sylvie Nordheim*, animatrice de l'atelier de théâtre de la Maison d'arrêt de Fleury-Mérogis Comment est né l'atelier de théâtre créatif que vous animez à Fleury-Mérogis ? Et comment se présente ce nouveau travail ? Au début, c'était un atelier d'écriture créative. Mais en prison, l'écrit n'est pas toujours maîtrisé et fait peur à beaucoup. Je me suis vite aperçue que la pratique littéraire de la langue provoquait finalement plus de frustration que de plaisir, plus de rivalités que d’harmonie. Avec l’équipe du service culturel, nous avons réfléchi au moyen de rendre cet atelier plus attractif. J’ai formalisé ce que je pratiquais déjà de temps en temps : écrire du théâtre à partir d’improvisations. Peu importait si on savait écrire ou non, il fallait juste imaginer, construire aussi. J’aimais aussi l’idée d’une œuvre collective. On est reparti sur les mêmes bases que l'an dernier : découpage en dix scènes, écriture, relecture, gros travail à la table. Mais je ne les fais plus bouger dans l'espace. Ils aiment souvent le sport mais ont un problème avec cet aspect du travail théâtral. Les assouplissements, les bras en l'air, ça les gêne un peu et ils n’en comprennent pas forcément l’intérêt, ça reste un peu «intello». Et puis, nous n’avons pas non plus beaucoup de temps. Au total six mois pour créer cette pièce. Il faut travailler vite. Plus concrètement, comment procédezvous ? La difficulté, c'est la fin  : du moment que les amateurs reviennent victorieux, qu'est-ce qui reste à raconter, puisque tout est joué ? On travaille à remettre du conflit là-dedans. Par exemple, les vainqueurs refont le match entre eux, et revoilà les problèmes  ! Que ce soit en prison, dans un vestiaire de stade ou ailleurs, un groupe offre toujours un potentiel de conflit. C’est un peu magique. Il y a des jours avec et des jours sans. J’apporte des idées qui fonctionnent comme des déclencheurs et je les fais improviser là-dessus. Je n’ai pas de magnéto, juste un cahier et un crayon, je dois écrire vite. On reprend le texte ensemble, il y a des participants plus créatifs que d’autres, nous rebondissons sur nos propositions, je lance des idées, des répliques mais ils sont capables de s’en emparer, les mettre à leur sauce. Je travaille en amont et en aval. Chez moi, je restitue ce qui s’est dit en éliminant les lourdeurs, je polis, je cisèle. Mais quand je leur rapporte mes transcriptions, je leur dis toujours «Enlevez ces mots-là, c'est les miens, mettez les vôtres...» Je ne connais pas leur argot, je ne pourrais pas l'inventer, il est plein de trouvailles. Leur langue à eux, c'est celle de la marge, un territoire que je ne connais pas et qu'ils habitent. Ils règnent dessus, personne ne peut les en déloger. Je les aide à donner des lettres de noblesse à cette langue-là rien qu'en la mettant par écrit. Ça ne leur déplaît pas de voir leurs paroles prendre de l'épaisseur sur le papier à mesure que le texte s'élabore. Il y a une poésie dans le langage des prisonniers et de tous ceux qui veulent échapper aux règles, j’adore leur humour, leur distance. Peut-être parce que la vie s'est moquée d'eux, ils se moquent de la vie et d'eux-mêmes. Ils sont malheureux, à quoi bon en rajouter en parlant du malheur ? Ils ne s'apitoient pas sur eux-mêmes. Ils ont d'ailleurs l'humour assez vache, ils s'envoient de sacrées vannes. Comment s'élabore l'intrigue ? Et les personnages, comment se développent-ils ? Chacun tricote le sien, mais parfois je leur demande de lire le rôle des autres. Tout le monde dit une réplique, sans souci d'ordre ni de cohérence. C'est très important, d'abord parce qu'on ne sait pas qui sera finalement là le jour de la représentation, et puis parce que ça enrichit. Peu à peu, les personnages accumulent ainsi des strates différentes. L'an dernier, il y avait un Chinois qui ne parlait pas un mot de français. Je lui ai demandé comment il s'appelait, il m'a répondu par un monosyllabe, et c'est devenu un personnage. Lui n'est pas resté, mais son personnage, oui. On lui a fait parler une langue étrangère totalement imaginaire et loufoque. Je me suis dit : il ne faut pas que j'oublie ça, cette façon dont les personnages sont inspirés par les uns, travaillés par d'autres, passent de l’un à l'autre comme des témoins dans une course de relais. Chacun laisse sa marque... Mais cela dit, j'impose toujours des types. Je tiens en particulier à ce qu'il y ait un intellectuel. L'année dernière, ils ont écrit tout un dialogue entre un religieux et un scientifique. Cette foisci, dans l'acte I, on a un syndicaliste qui veut faire grève avant le match. Et dans le dernier il y a «Einstein», un fort en maths. plément. Tant qu'on n'arrive pas à se la formuler comme ça, avec cette netteté, c'est qu'il y a quelque chose qui échappe. J'y reviens tout le temps : dites-moi, avec vos mots, comment la scène est articulée, d'où elle part, où elle arrive. Le plus simplement possible. C'est un travail fructueux. Voilà pour le sens de la construction. Et du côté de l'imagination, ça marche aussi. Quand on écrit, on ne peut pas toujours attendre que les Muses viennent nous