donc pas étonnant que le choix de Wilde se soit arrêté sur le nom
d’Aubrey Beardsley pour la version anglaise de sa pièce, choix
attesté par l’éditeur John Lane dans une lettre du 8 juin 1893, où il
confirme avoir engagé Beardsley pour une somme de 50 guinées
couvrant dix illustrations de pleine page et la couverture.
En novembre 1893, Wilde, qui se trouve à l’Albemarle avec Bosie,
voit pour la première fois les dessins que John Lane lui a apportés.
On a souvent dit que Wilde n’avait pas apprécié les dessins de
Beardsley que, selon le peintre John Rothenstein, il trouvait trop
japonisants, alors qu’il prétendait avoir écrit une pièce byzantine.
Cependant, rien ne permet d’affirmer que Wilde ait tenté la moindre
censure. Si trois des dessins durent être retirés et retravaillés, ce ne
fut nullement à la demande de Wilde. Il se contenta de se plaindre
mélancoliquement à son ami
Ricketts : « Mon Hérode est comme
l’Hérode de Gustave Moreau – enveloppé dans ses bijoux et sa
tristesse. Ma Salomé est une mystique, la sœur de Salammbô, une
Sainte Thérèse qui vénère la lune. Les dessins du cher Aubrey sont
comme un gribouillis qu’un écolier précoce fait en marge de ses
cahiers ». Wilde ne reconnaissait plus ses personnages dans la
représentation érotique, grotesque et séchement féroce qu’en
donnait Beardsley.
On peut aussi supposer qu’un autre élément entrait en jeu dans la
désapprobation de Wilde. En effet, Beardsley, par dérision ou par
simple clin d’oeil, s’était permis d’introduire une caricature de Wilde
dans certains de ses dessins. On pouvait ainsi le reconnaître dans
la lune boursoufflée de « The Woman in the Moon » ou dans la
personne du bouffon coiffé d’une chouette, affalé, avec son
« Salomé » sous le bras dans le coin droit de l’illustration intitulée
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