RUE DES BEAUX ARTS 71 n°71 | Page 34

ses obligations, Bunbury. C’est ce stratagème qui amène le désordre, car l’organisation de Jack, fût-elle fondée sur un mensonge, n’est plus assurée. Gwendolen accepte d’épouser Ernest (Jack) car elle est amoureuse de son prénom. Algernon, lui, se rend à la propriété de Jack en se faisant passer pour Ernest. Cecily, la jeune fille sous tutelle, et Algernon tombent immédiatement amoureux. Un jeu de miroir ajoute au comique de situations, puisque Cecily est également amoureuse d’un prénom  : voilà donc deux prétendantes alors que personne ne s’appelle Ernest  ! La suite est une série de méprises et quiproquos qui amènent les deux héros à vouloir changer de nom, mais Jack découvre, à temps, qu’il s’appelle en fait bien Ernest, un retournement que seul le genre comique peut rendre acceptable. Comme « E(a)rnest » est également un nom commun, les effets de sens se multiplient, pour provoquer encore plus d’ambiguïtés. Tout cela est plaisant, mais ne rend pas compte de la postérité de cette pièce. Wilde se désintéresse de l’intrigue amoureuse entre Algernon et Cecily, qu’il ne résout pas, et aucun mariage n’est célébré : tout se passe comme si toute cette comédie n’était que beaucoup de bruit pour rien. Freud, à la même époque, nous indique qu’il ne faut pas se tromper en prenant le comique à la légère, et lui accorde tout le sérieux d’une étude précise et systématique  : le mot d’esprit est un sous-genre du comique qui permet d’étudier «  l’économie d’inhibition  », qui tourne «  des limitations et (ouvre) des sources de plaisir devenues inaccessibles  » 1 . Reprenant ce texte, Lacan dira «  l’essence du trait d’esprit… désigne et toujours à côté ce qui n’est vu qu’en regardant ailleurs. » La structure comique relativement traditionnelle de la pièce est-elle une manière de nous faire regarder «  ailleurs  »  ? Elle relève 1 S. Freud, Le Mot d’esprit, p.326 et 199. 34