Rue des Beaux-Arts n°70 – Janvier/Février/Mars 2020
éclairs dans la rainure de ses deux seins ; plus bas, aux hanches, une
ceinture l’entoure, cache le haut de ses cuisses que bat une gigantesque
pendeloque où coule une rivière d’escarboucles et d’émeraudes ; enfin,
sur le corps resté nu, entre le gorgerin et la ceinture, le ventre bombe,
creusé d’un nombril dont le trou semble un cachet gravé d’onyx, aux
tons laiteux, aux teintes de rose d’ongle ». C’est une princesse belle et
terrible, cuirassée de bijoux, presque nue sous ses voiles qui se sont
défaits « dans l’ardeur de la danse ». Les brocards tombés, « elle n’est
plus vêtue que de matières orfévries et de minéraux lucides ». Cette
description esthétique et fortement érotisée enflamme l’imagination de
Wilde. Le voici qui court les boutiques de joaillers de la rue de Paix, qui
s’extasie devant l’or, les perles et les pierres en les imaginant parant le
corps de sa belle tentatrice.
Un peintre et un auteur français, donc, l’inspirent. Mais aussi un
écrivain qu’il aime et un poète qu’il veut séduire. À Oxford, il a lu les
« Trois Contes » de Gustave Flaubert, dont le dernier, «Hérodias»
reprend l’épisode de la bible où Salomé exige de son beau-père Hérode
Antipas, la tête du prophète Iaokanaan en récompense de sa danse,
par obéissance à la volonté de sa mère Hérodias.
À Paris, en février et en mars 1891, Wilde a été admis aux fameux
mardis du pape du symbolisme, Stéphane Mallarmé, privilège rare et
d’autant plus apprécié. Or, le poète travaille depuis des années à un
long poème « Hérodiade » qui restera inachevé. Ainsi, Wilde se trouve-t-
il cerné de toutes parts par la reine et par sa fille, qui le poursuit
jusque chez Jean Lorrain où, devant une tête de plâtre coloré
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