Rockyrama The Shining | Page 9

‘‘Le projet de Shining consiste à réveiller chez son spectateur un langage perdu, le langage d’avant le langage.’’ monde sur laquelle notre Raison a jeté un voile. Overlook signifie à la fois « voir au-dessus, au-delà, au sens de dominer », mais le terme mis en adjectif, « overlooked », désigne également quelque chose qu’on a négligé et fini par oublier. LANGAGE Peu à peu, le projet se fait jour. En se reposant sur notre seul intellect, nous finirons comme Jack, l’écrivain stérile en but sur les mots, c’est- à-dire amenés peu à peu à la folie en ignorant tout des forces qui nous y précipitent. En faisant confiance à notre intuition et à la clairvoyance qui l’anime, nous serons comme Danny, alertes sur les choses terribles qui se jouent autour de nous et aptes à trouver l’issue hors du labyrinthe. Le projet de Shining consiste à réveiller chez son spectateur un langage perdu, le langage d’avant le langage ; ce que le monde antique prétendait conserver en secret et que l’ésotérisme médiéval désignait par « langue des oiseaux ». Contrairement à notre langage alphabétisé, linéaire, univoque, ce langage d’avant le langage est fait d’images, de symboles, d’analogies, d’harmonies, de contrepoint, de rythme et de sens qui s’interpénètrent. C’est le langage que la tradition artistique, notamment musicale et picturale, a tenté de maintenir au fil des siècles. C’est aussi le langage que le cinématographe, cet appareil à vocation scientifique, censé au départ porter sur le monde un regard « objectif », a accidentellement réveillé à la toute fin du plus rationnel des siècles. D OUB L E E X POS I T I O N Aux erreurs de continuité qui stimulent ainsi notre perception et nous font participer « inconsciemment » à ce qui se joue, Kubrick va rajouter une grande quantité d’analogies visuelles : celle qui fait correspondre le profil africain de Hallorann au ROCKYRAMA dessin du chef indien sur les boîtes de conserve Calumet, créées spécifiquement pour le film ; des analogies de couleur comme les cheveux roux des figures féminines qui encadrent le parcours des protagonistes (l’hôtesse d’accueil à l’hôtel, la secrétaire de Ullman, le médecin de Danny) ; et bien sûr des analogies architecturales sans fin (les arches au cœur du labyrinthe sont les arches de la salle de bain où apparaît la femme nue). Mais également, et de façon beaucoup plus étonnante, plusieurs analogies visuelles vont être motivées par la rythmique séquentielle du film. Car si l’on décide de « plier » Shining en son centre, comme on plierait une grande feuille de papier, on découvre alors que chaque séquence répond visuellement et symboliquement à celle sur laquelle elle se superpose. Le tout premier plan se superpose idéalement au tout dernier plan et ainsi de suite. La rencontre avec les jumelles se surimpose à l’échange aux toilettes entre Jack et Grady (l’auteur du double meurtre) ; la hache de Jack déchirant la porte close se surimpose au panneau « Closing Day » ; les scènes où Jack tente de travailler sont à parfaite équidistance et se surimposent donc à elles-mêmes, etc. La composition des plans, d’une rigueur exemplaire, se charge d’éclairer le sens de chaque superposition a posteriori, en mettant ainsi en lumière les enjeux narratifs découverts lors d’une première vision. Bien sûr, un tel exploit filmique ne peut être percé à jour qu’avec un visionnage STANLEY KUBRICK