Rockyrama The Shining | Page 7

roues puis le silence feutré du tapis et enfin le choix méticuleux des motifs décoratifs impose une forme d’hypnose, de « danse rituelle », dont les effets psychiques souhaités sont ceux « d’amollir » et ainsi ouvrir l’esprit du spectateur à une forme de transe ; celle-là même à laquelle pouvaient s’adonner les anciens Indiens d’Amérique du Nord et dont les symboles spirituels peuplent les murs de l’hôtel. L’histoire nous a démontré que Kubrick avait poussé ses décorateurs à bout sur le tournage de ce film, allant jusqu’à compromettre les tournages des productions Spielberg et Lucas qui devaient utiliser ces mêmes plateaux anglais. Aussi comprendra-t-on aisément que la moindre erreur architecturale du film n’est pas fortuite, mais le résultat d’un soin maniaque. ESPA CE La première séquence à nous faire découvrir les lieux est celle où Jack se rend à son entretien d’embauche. Un long travelling en steadycam le suit alors qu’il passe devant des clients qui attendent l’ascenseur, puis il s’engage à gauche à travers une porte qui ouvre sur un couloir et il tourne aussitôt à droite pour pénétrer le bureau du directeur, un bureau muni d’une fenêtre, mais où la lumière trop vive nous empêche de distinguer clairement la vue. Problème : ce bureau se situe à l’endroit où devrait se trouver la cage d’ascenseur et où l’idée même d’une fenêtre donnant sur l’extérieur est architecturalement saugrenue. Lorsque nous suivons Danny une deuxième fois sur son auto à pédale, cette fois-ci au premier étage de l’hôtel, notre esprit a déjà emmagasiné les informations spatiales de la précédente séquence du rez-de-chaussée. Lors d’un virage à droite, nous avons le temps d’apercevoir subrepticement, sur notre droite, le grand escalier qui descend vers le hall principal de l’hôtel. Danny continue sur sa lancée puis s’engage à gauche dans le couloir sans issue où il tombera pour la première fois sur les fantômes des deux petites jumelles. Nouveau problème géographique : cette portion du couloir où se trouve Danny est en dehors de l’hôtel ! Ainsi, tous ces longs travellings en steadycam qui occupent une grande partie du film ne sont pas une simple coquetterie stylistique (ce dont fut soupçonné le réalisateur puisque ce système de caméra était à l’époque une nouveauté). Ce sont des plans qui ont une fonction précise, celle de nous faire à la fois appréhender l’espace et mesurer toute son impossibilité. Or, tandis que notre cerveau enregistre et notifie avec précision toutes ces aberrations spatiales, notre intellect, lui, ne les décrypte pas ! L’inquiétante étrangeté, le « Unheimlich » distillé par Shining vient principalement du conflit qui se joue dans le cerveau du spectateur ; un cerveau qui voit, enregistre, ressent toute l’étendue de cette information visuo-spatiale mais qui ne parvient pas à la décrypter avec sa raison, et donc à la « voir ». O V E R LOOK Toute la substance de Shining pourrait être
résumée dans ce conflit permanent entre
la totalité de notre esprit et la petite partie qui gère le langage. Parce qu’il nous est difficile d’accepter l’idée que la totalité de notre esprit est de fait bien plus « intelligente », plus performante, que notre seul intellect sur lequel repose notre langage actuel et donc notre raisonnement. Notre langage limite notre perception et jette un voile sur notre environnement. Les personnages de Shining se parlent sans se comprendre. Et lorsqu’ils écrivent, ce sont des phrases mécaniques et répétitives comme celles qu’utiliserait un aliéné pour se bercer dans sa cellule. L’hôtel Overlook, lui, nous parle un langage que nous avons oublié, celui de notre participation pleine à la fabrique de ce ROCKYRAMA STANLEY KUBRICK