Revue Six Étoiles Revue Six Étoiles automne/hiver 2019 | Page 22

SUIVRE UNE PISTE AU MONT CARLETON TEXTE ET PHOTO PAR JASON NUGENT L es premières lueurs de l’aube pointent dans le ciel, mais puisque je suis en raquettes en pleine forêt, cela ne m’est pas d’un grand secours. La lumière brillante de ma frontale me montre la voie à suivre et m’aide à éviter les arbres et à suivre une piste que, en toute honnêteté, je connais déjà très bien. L’épaisse couche de neige qui recouvre le sol et les branches des arbres me forcent à me pencher, puisque je me retrouve dans une position beaucoup plus élevée qu’en été. Le son rythmique de mes raquettes qui s’enfoncent dans la neige est hypnotisant. La température, qui a chuté pendant la nuit, est constante : même si je lutte pour avancer, j’éprouve le besoin de resserrer le col de mon manteau. Une longue journée m’attend. Nous sommes au milieu de février. Je suis dans le parc provincial Mont-Carleton et je dois me rendre au sommet du mont Sagamook avant le lever du soleil. Situé dans le nord-ouest du Nouveau-Brunswick, le parc provincial Mont-Carleton abrite une section du sentier international des Appalaches et doit son nom au plus haut sommet des Maritimes. En tout, il y a plus de 42 000 acres de nature sauvage intacte à explorer. Ce secteur de la province est un paradis hivernal pendant une bonne partie de l’année. Le parc est également éloigné et le mont Carleton est le 45 e sommet le plus isolé au Canada, mais cet éloignement est également synonyme d’un ciel nocturne exceptionnellement sombre. Tellement sombre, en fait, que le parc a été désigné à titre de « réserve de ciel étoilé » par la Société royale d’astronomie du Canada en 2009. J’ai vécu au Nouveau-Brunswick presque toute ma vie, et certains de mes meilleurs souvenirs sont liés à l’hiver ici. Longtemps après que la neige a disparu dans d’autres parties de la province, on peut affirmer en toute sécurité qu’une couverture blanche est toujours présente dans presque tout le parc. Lorsque j’étais enfant, je me souviens que mon père chargeait la voiture tôt au printemps et traversait toute la province depuis Bathurst jusqu’à l’entrée nord du parc. Nous 22 revue six étoiles chaussions nos raquettes, car le parc était fermé pendant l’hiver à l’époque, mais en déployant quelques efforts, nous nous retrouvions avec un paradis hivernal juste pour nous. Il m’enveloppait dans des couvertures chaudes et nous restions assis pour observer les aurores boréales s’étirant dans le ciel nocturne, une tasse de chocolat chaud à la main. Si le ciel s’ennuageait ou qu’il commençait à neiger… nous nous en accommodions. Maintenant que je suis plus âgé, je poursuis la tradition. L’exploration en plein air recèle une vérité : si vous voulez être dans un endroit éloigné du monde tôt le matin, il est préférable d’arriver la veille. Certaines de mes meilleures nuits en plein air se sont déroulées là-bas. En tant que photographe, j’ai toujours aimé le terrain de camping Armstrong, situé sur la rive nord du lac Nictau, et qui offre un magnifique point de vue des hauts sommets de l’autre côté. Pour moi, il est difficile de faire mieux que de retourner à la tente après une journée passée dans les sentiers, de se concocter un souper sur le réchaud, puis de prendre des photos en chronocinématographie de la lune qui se lève au-dessus du massif du parc. Lors de cette visite, la nature a le dessus sur moi. Le ciel se couvre et la neige se met à virevolter, alors que j’approche du sommet du mont Sagamook. Au lieu de pouvoir profiter de la célèbre vue sur les dix millions d’arbres, je dois retraiter dans un mur de neige. Je traverse le lac Nictau dans les rafales pour revenir à ma tente, mais lorsque je remonte la fermeture éclair de mon sac de couchage, souriant, je sais que je reviendrai. C’est ce que je fais toujours.