Arts & Evénementiel
Street Art
Wiam ABDELAZIZ
Je suis là, devant ce mur qui soutient une dizaine de marches d’escaliers qui mènent nulle part. Il est vieilli, triste,
condamné à regarder les aller-retours des gens à longueur de journée, qui ne daignent pas lui jeter le moindre
coup d’œil. Il est pourtant bien là mais tellement invisible, il se fond dans le décor flou des regards, il est jeté
aux oubliettes. Rien que de le fixer quelques instants et de centrer mon regard sur lui cette fois, je vois les égra-
tignures du vent et les rafales de pluie lui déchirant la face, le temps le ronge un peu plus à chaque seconde qui
passe… il est moche, mais il est pourtant là à s’imposer, malgré tout il existe. J’ai envie de lui panser ses plaies, de
chasser cette peine qui le hante, je veux le ramener à la vie, qu’il se réjouisse de la magie des couleurs, qu’il ne
soit pas seulement un tas de béton. Je voudrais qu’on se réconcilie.
Je suis toujours face à ce mur, je guette l’arrivée de son sauveteur de loin. Entre un nuage de fumée jaillit la sil-
houette de l’homme qui le délivrera de ses maux, qui effacera enfin ses blessures. Il déposera un soupçon de son
âme pour lui donner vie, et c’est maintenant que le spectacle commence…
De son sac-à-dos noir, tantôt il déballe quelques tubes de peintures de différentes couleurs se mariant à mer-
veille, puis procède à des mélanges précis jouant sur les nuances de chaque pate colorée, tantôt il jette un regard
au mur comme s’il le rassurait : j’ai le remède à ta peine.
A l’instant où il prend son unique pinceau plat, commencera la transformation !
Je veux être cette larme de joie colorée qui s’échappe d’un coup de pinceau et glisse en toute finesse sur la sur-
face rugueuse de ce mur en transformation. Je veux être cette ligne blanche rebelle qui s’impose au milieu du
ruban azur. Je veux danser sur le rythme des courbures de ces formes folles que cet homme chante sur les bouts
de ses doigts, et rien ne m’empêchera de sauter d’un ton pourpre à l’autre au sein de sa mélodie muette. Je me
faufile entre les traits de la symphonie de ce maestro, je glisse avec les pourtours qui me rappellent des lettres,
avant de me lancer dans l’un des boomerangs aux couleurs du ciel pour atterrir gracieusement sur un « point ».
Je veux me fondre dans ce mur pour me couvrir de ses lumières turquoises, je brillerai comme cette étoile qui
veille sur ce mur chaque nuit. Ce mur différent à présent, plein de vie, épate les esprits des gens qui l’ignoraient
il y a quelques instants. Il est réellement là maintenant, il est ancré et une âme existe à travers lui.
Je reste perchée sur le croissant de lune, à savourer le plaisir qu’on m’a offert et je veux embrasser la folie qui a
rendu magique ce tas de briques et de béton…
50
Hiver 2018