Aux frontières de la morale
Nassim TOUAA
Après avoir abordé l’ identité et l’ hypocrisie dans les relations humaines, il serait temps d’ aborder la question de la morale, point d’ articulation entre ces deux notions.
Le concept de morale
En termes simples, on regroupe sous cette appellation l’ ensemble des règles qui régissent les conduites et les comportements entre les différents individus d’ un groupe social afin que ceux-ci puissent vivre en harmonie les uns avec les autres. La première chose, que l’ on constate dans cette définition, c’ est que la morale soit une exigence sociale. En effet, le concept de morale n’ aurait aucune signification dans la conscience d’ un homme seul dans un environnement naturel. L’ individu solitaire subit les contraintes de son environnement, et son existence dépend exclusivement d’ un pouvoir d’ adaptation du comportement et du savoir-faire, car l’ interaction directe entre l’ individu et son environnement est réduite à des processus chimiques physiques et biologiques totalement empiriques, prévisibles et constants dans le temps. Le concept de morale s’ introduit à partir du moment où il existe un être vivant dont les comportements labiles et imprévisibles sont liés aux miens. Il s’ agit d’ un être doué, tout comme moi, d’ un psychisme et avec lequel il est possible de communiquer. L’ être en question est un autre humain que moi, mais peut très bien être un animal ayant ces caractéristiques( Un chien, un chat, un singe, … etc.). À partir du moment où il y a en face de moi cet être, le concept de socialisation apparaît nécessaire et m’ impose l’ établissement, avec l’ autre, d’ un ensemble de protocoles qui normalisent notre relation et nos comportements, permettant à chacun de subsister, en harmonie, en présence de l’ autre. Et ce code s’ appelle « morale. » La seconde chose qui ressort de cette définition est la finalité de la morale, créer une harmonie entre les individus d’ une société. Il faut savoir que la douleur physique est la perception la plus importante et la plus marquante que ressent l’ individu lorsqu’ il explore son environnement. L’ intégration, consciente et inconsciente, cognitive et affective, de la douleur physique se voit attribuer un équivalent psychique, la frustration. Ainsi, le besoin moral nait d’ une peur de la frustration et l’ on ne peut vivre ensemble que si l’ on fait abstraction de celle-ci. Je me fais voler ma nourriture, je ressentirai la douleur de la faim et le savoir me rend frustré. L’ inconnu, l’ imprévisible est aussi source de frustration: Je ne prédis pas la réaction de l’ autre, je me fais frapper, cela fait mal et je ressens une double frustration, celle de ne pas avoir eu l’ idée de me méfier et d’ anticiper et celle de la douleur physique occasionnée. Marcel Proust ne nous le dira jamais assez: « On devient moral dès qu’ on est malheureux ». Mais alors, la morale ne serait plus qu’ une somme d’ interdictions. En réalité, l’ interdiction est la première étape dans une construction morale, une fois le code qui me protège de l’ autre est clair et établi, j’ éprouve le besoin ambitieux d’ utiliser l’ autre pour subsister. J’ introduis alors le concept d’ entraide, de partage, de protection mutuelle, … etc.
Emmanuel Kant
La troisième étape est d’ ordre affectif, l’ expérience de bien-être que l’ individu tire de son interaction avec l’ autre, la peur et l’ insécurité qu’ il ressentirait en l’ absence de l’ autre, font que son psychisme développe des caractères émotionnels vis-à-vis de l’ autre, à savoir l’ affection, l’ amour, l’ amitié, la fraternité. Ces caractères passionnels apparaissent chez l’ individu d’ une manière spontanée et conditionnent certains de ses comportements. Ce sont, en effet, les passions qui introduisent, les concepts d’ altruisme de charité, de pardon … etc. Donner sans compter, sans attendre
ReMed Magazine- Numéro 4 23