LA PLUME DES EONS
Séquence 1 : Crépuscule
« Le crépuscule d’un homme voit se lever l’aube d’un autre. »
- (Anonyme)
... un homme. Presque seul. Pourquoi lui ? Pourquoi pas un autre ?
Il fallait bien que quelqu’un reste après tout ce qui s’était passé. Le hasard avait
voulu que ce soit lui, peut-être avait-il donné un petit coup de coude à ce même
Hasard pour se faire une place au soleil. Ce n’est pas autrement qu’on peut espérer être un survivant, à moins de bénéficier d’une chance exceptionnelle, mais aussi
exceptionnelle qu’elle puisse être, elle finit invariablement par faillir à un moment
donné- les probabilités sont contre vous.
Cet homme solitaire s’appelait Ash Twilight. Ou du moins, c’est ce qu’il pensait,
car il n’était plus trop sûr de grand-chose en ce moment. Ce qu’il venait de traverser
avait de quoi ébranler les esprits les mieux chevillés au corps.
La chaleur rendait sa mémoire encore plus cotonneuse, et à chaque fois qu’il voulait
la fouiller à un endroit précis, une brève céphalalgie l’enserrait et le dissuadait d’aller
plus avant. Un conditionnement simple, et il aurait payé cher pour savoir qui en était
à l’origine- et s’il l’avait su, il aurait donné deux fois plus pour tout oublier à nouveau. Un conditionnement déclenché aussi, il en aurait mis sa main à couper s’il n’en
avait pas eu un plus grand besoin.
Les cris, épouvantables, futiles… Appels à l’aide qui n’atteindraient personne,
demande de clémence qui ne font que confirmer le bourreau dans sa décision… Le loup
prêtait-il attention aux bêlements de sa proie qui sentait la fin venir ? Et lui, étaitil réellement un loup ?
Heureusement, cette amnésie n’était pas générale. Par exemple, il se souvenait
très bien pourquoi il traînait derrière lui ce grand sac marron, qui ressemblait fort à
un sac de patates. Ce qu’il avait en son sein était tout autre et pesait bougrement
son poids, rendant la tâche de le transporter d’autant plus pénible qu’il se démenait
comme un beau diable.
A sa place, Ash aurait également gigoté avec ardeur, même si en fait, c’était
plutôt inutile. Il ne croyait pas réellement au destin, sauf à celui que d’aventure il
était obligé d’imposer à autrui. En général, cela ne le rendait pas vraiment heureux.
Cette fois-ci, il ne se départait pas d’un certain plaisir anticipé, tant moral
que scientifique.
A l’horizon, le soleil, pourvoyeur de vie et de mort- encore plus qu’autrefois !,
continuait sa chute lente, pour aller éclairer une autre partie de la planète.
Il ne lui restait plus beaucoup de temps pour trouver un endroit sûr. Le paquetage
qu’il avait embarqué ne serait pas suffisant pour un camping prolongé… Surtout que
les touristes nocturnes n’étaient pas très avenants.
Conscient de cela, il s’arrêta tout de même pour ramasser une poignée de sable
en contemplant l’horizon. Il laissait les grains s’échapper en minuscules rigoles de ses
doigts, tout en ayant de la peine à imaginer que ce qu’il observait avait pu être
autrefois une riante contrée. L’adjectif même « riante » sonnait comme une farce
macabre au creux de son esprit.
Depuis la phase finale, et singulièrement ratée à son sens, le processus de désertification s’était encore accéléré. A tel point que cela paraissait surnaturel.
Et pourtant, il y a seulement sept années, le monde vivait en paix, paisiblementenfin, avec les tracas habituels.
86 PixaRom magazine