Pivot CPA French Pivot_FRE_May_June2018 | Page 16

en prImeur
fiscalité

Triomphal Trump

La réforme fiscale américaine risque de porter préjudice au Canada . À quand la riposte ?
BrucE Ball
À l ’ incertitude qui entoure nos relations économiques avec les États-Unis s ’ ajoute un problème épineux , qui s ’ est précisé ces derniers mois . L ’ allégement notable du fardeau fiscal des entreprises américaines , décrété par le président Trump en décembre , élimine l ’ avantage
que conférait à leurs concurrentes canadiennes la réduction progressive de l ’ impôt des sociétés amorcée voilà bientôt 10 ans par les conservateurs de Stephen Harper . Au Canada , le taux d ’ imposition moyen des sociétés oscille autour de 26 % depuis 2012 , soit un taux effectif marginal de 21 % ( compte tenu des déductions et des crédits ). Aux États-Unis , au printemps de l ’ année 2020 , le taux d ’ imposition aura plongé de 35 % à 21 %, pour un taux effectif marginal d ’ environ 18 %. De quoi changer la donne .
Autre facteur négligé : aux États-Unis , les entreprises pourront bientôt passer en charges la totalité de leurs acquisitions de matériel , et ce , pour les cinq prochains exercices , un aménagement qui sera éliminé progressivement par la suite . Certes , les avantages de ces dégrèvements varieront , mais dans nombre de secteurs , les sociétés seront amenées à bonifier leurs dividendes et , aussi , à rapatrier les bénéfices ( et les passifs , le cas échéant ) d ’ entités à l ’ étranger . De surcroît , passer en charges certaines immobilisations rehaussera les profits , car pour un temps , les sociétés seront poussées à investir plus afin de se doter d ’ équipements et de technologies de pointe , clés d ’ une productivité accrue .
Comment réagit le Canada ? Après avoir dit qu ’ il n ’ y avait pas lieu d ’ intervenir à la hâte , le ministre des Finances , Bill Morneau , a changé de ton quand le gouvernement a rendu public son plan de dépenses lors du dernier budget : on étudierait en profondeur les risques

21 %

Nouveau taux d ’ imposition des sociétés prévu aux États-Unis après une baisse de 40 %.
que présentait , pour la compétitivité des entreprises canadiennes , la baisse de l ’ impôt des sociétés aux États-Unis . Le jour du dépôt du budget , le ministre confiait à la chaîne BNN que l ’ analyse avait commencé .
M . Morneau a tout intérêt à parachever son examen sans délai pour qu ’ Ottawa puisse adopter des politiques éclairées , bien avant l ’ entrée en vigueur des taux réduits aux États-Unis . Nul ne préconise une action irréfléchie . Au contraire , il incombe aux décideurs de soupeser les mesures à prendre , après délibérations ( inutile de baisser les impôts si les dispositions incitatives n ’ ont guère de raison d ’ être ).
Par ailleurs , la réforme fiscale américaine risque d ’ avoir de profondes répercussions si le Canada , le Mexique et les États-Unis ne parviennent pas à renégocier l ’ ALENA . Nouveaux tarifs douaniers , priorité aux fournisseurs américains , taux d ’ imposition avantageux : les entreprises canadiennes pourraient être tentées de cesser d ’ exporter vers les États-Unis , et de s ’ y installer carrément .
De plus , si la renégociation de l ’ ALENA déséquilibre la balance commerciale ou exclut des secteurs stratégiques , l ’ allégement du fardeau fiscal sera déterminant pour orienter les décisions des multinationales , qui choisissent où affecter leurs investissements étrangers directs . Selon un rapport du groupe Services économiques TD ( février 2018 ), la mobilité des capitaux l ’ emporte sur celle de la main-d ’ œuvre . Ce facteur , conjugué aux nouvelles incertitudes autour de l ’ ALENA , appuie la thèse d ’ une lente fuite des capitaux canadiens vers les États-Unis . L ’ analyse montre que les dispositions américaines ramènent le taux effectif marginal sous les seuils d ’ imposition canadiens dans la plupart des industries , hormis la fabrication , les hydrocarbures et certains services .
Les contrecoups pour notre économie ? La fonte des recettes tirées de l ’ impôt des sociétés freinera les investissements fédéraux dans les infrastructures , les études supérieures et la recherche , pourtant jugés essentiels à l ’ accroissement de la productivité . Cet impôt ne représente que 9 % des recettes fiscales , mais d ’ autres sources de revenus , comme les charges sociales , pourraient se tarir si l ’ exode des entreprises se concrétisait . Dans un mémoire soumis dernièrement au Comité sénatorial permanent des finances nationales , CPA Canada souligne qu ’ il est grand temps de procéder à un examen exhaustif du régime d ’ imposition des sociétés , qui n ’ a pas été revu en profondeur depuis 50 ans . Il
photo WiN McNaMEE / GEttY ; ILLUStRAtIoN KaGaN MclEOD
16 PIVOT MAI / JuIn 2018