en prImeur
t é m o i g n Ag e
La Surdouée
deS appLiS
Après avoir lancé sa propre appli Bitcoin,
harshita Arora, une ado surdouée, a vite
déchanté. ProPos recueiLLis PAr BryAn
Borykowski
L’été dernier, jeune décrocheuse de 15 ans,
10
PIVOT MAI/JuIn 2018
Le monde des cryPtos
Peut Bien être rétrogrAde,
sexiste et rAciste, je
ne LAisserAi PAs Les
intimidAteurs L’emPorter.
technologie, et s’il y avait des programmeurs dans
la ville, je ne les connaissais pas. J’ai eu mon premier
ordinateur à 10 ans, et un accès Internet un an plus
tard. Tout ce que je savais de la Silicon Valley, je
l’avais appris par l’émission de télévision éponyme.
Le jour où j’ai enfin eu un ordinateur, mon
quotidien n’a guère changé : nous n’étions pas
connectés! Et quand nous avons eu Internet, le réseau
était si lent que j’ai pris des notes pour concevoir un
meilleur système d’exploitation, ou pour accélérer
le débit. En 7 e année, j’ai commencé à m’intéresser
aux logiciels. Mon professeur d’informatique, Mid-
hun Manikkath, nous faisait créer des sites, des
blogues, des applis, et je suis devenue accro; la
programmation, la création, c’est de la gymnastique
intellectuelle. Du coup, je me suis mise à manquer
des cours. Un beau jour, j’ai découvert le Bitcoin et
je quittais Saharanpur, grande ville du
Nord de l’Inde, pour un stage de deux mois
dans une société de capital-investissement de la
Silicon Valley. Le bitcoin amorçait son ascension; je
me suis donc mise à lire des sous-forums sur Reddit,
la plateforme de partage de liens, pour voir ce qui
s’y disait. Les utilisateurs trouvaient difficile de suivre
le cours de la cryptomonnaie et de retracer son
évolution, choses pourtant simples. Il existait déjà
quelques applications dans le créneau, mais j’étais
convaincue qu’on pouvait mieux faire. Pourquoi ne
pas créer une appli bien pensée, sûre de plaire?
En novembre, j’ai entrepris la conception de mon
appli, Crypto Price Tracker. Pendant deux mois,
j’y ai travaillé d’arrache-pied, une quinzaine
d’heures par jour. Je l’ai lancée en janvier et, à mon
grand étonnement, elle s’est taillé un franc succès
sur Reddit dès la première semaine : un millier de
téléchargements. Mais quelques jours plus tard,
un incrédule m’accusait de plagiat. Sur Reddit, on
prétendait que le code n’était pas de moi. J’ai expli-
qué que j’avais eu l’aide de trois collaborateurs :
un de mes amis avait fait du travail d’arrière-plan,
rémunéré, un autre avait répondu à mes questions,
une fois par semaine, et un troisième s’était proposé
pour créer des segments de programmation. J’avais
accompli environ 80 % de la tâche, et j’étais partie
de zéro; les accusations étaient donc sans fondement.
Les premières calomnies ont été supprimées par
la suite, mais le mal était fait. Quelques zélés ont
déniché mon courriel, et j’ai été attaquée de toutes
parts; on m’a même conseillé de me suicider. Je
vivais dans la peur. Assaillie de milliers de messages
agressifs, j’ai craint que ma réputation soit entachée
à jamais. J’ai effacé ce que je pouvais, mais j’ai aussi
fait des saisies d’écran et dénoncé deux des auteurs
à leur employeur. L’une a été congédiée, l’autre a
présenté des excuses publiques.
À Saharanpur, agglomération de 700 000 habitants
à cinq heures de New Delhi, ma famille vivait sans