EXPÉRIENCE MARQUANTE
c ’ est le moins que l ’ on puisse dire , par la communauté des physiciens , qui n ’ a nullement envie de « jeter le bébé avec l ‘ eau du bain ». L ’ hypothèse des quanta lumineux pose plus de problèmes qu ’ elle n ’ en résout . Elle est universellement rejetée .
R . A . MILLIKAN ET SON EXPÉRIENCE Millikan est lui aussi très réticent sur l ’ approche d ’ Einstein . Dans les années 1910 il entame des travaux expérimentaux sur l ’ effet photo-électrique dans le but de montrer que la formule d ’ Einstein est erronée . Il utilise une enceinte à vide contenant une électrode métallique , souvent un alcalin . Une des difficultés de l ’ expérience est que la surface du métal s ’ oxyde et se salit avant d ’ être mise sous vide , perturbant par là même le processus d ’ émission . Millikan met au point un « couteau » manipulable magnétiquement de l ’ extérieur de l ’ enceinte à vide , spécialement conçu pour raboter et nettoyer la surface directement sous vide . Il passe plusieurs années à étudier successivement le processus de photo-émission à différentes longueurs d ’ onde grâce à un spectromètre et pour différentes électrodes . Il vérifie point par point toutes les conséquences expérimentales de l ’ équation d ’ Einstein avec une précision remarquable de 0,5 % : existence d ’ un seuil en fréquence pour l ’ effet observé , variation linéaire de l ’ énergie de l ’ électron avec la fréquence , indépendance de l ’ énergie des électrons émis avec la distance entre la source de lumière et l ’ électrode . Il en déduit la valeur suivante de la constante de Planck h = 6,624 10 -34 J . Il réalise ces expériences avec un soin extrême , car en bon physicien expérimentateur , Millikan sait que de petits défauts de l ’ expérience passés inaperçus peuvent induire des conclusions erronées . Mais l ’ expérience est têtue , et ses résultats implacables : ils prouvent sans doute possible que la lumière se comporte dans l ’ effet photo-électrique comme un flux de particules et non comme une onde . Ils permettent de donner une valeur précise à la charge de l ’ électron et à la constante de Planck compatibles avec d ’ autres mesures moins précises . Citons Millikan : “ This work resulted , contrary to my own expectation , in the first direct experimental proof , within the limits of experimental error , of the Einstein equation ”. Au début des années 1920 de nouveaux phénomènes lumineux « corpusculaires » mettant en jeu des rayons X sont étudiés en détail par les physiciens . Ils confirment en particulier que les rayons X émis en tous sens par une source ponctuelle sont capables d ’ éjecter les électrons par effet photo-électrique même si la cible est très éloignée de la source : l ’ étalement dans l ’ espace de l ’ énergie électro-magnétique prédit par les équations de Maxwell ne se produit pas . En 1921 Compton montre que le quantum de lumière a non seulement une énergie hf , mais aussi une quantité de mouvement hf / c , comme il se doit pour une particule relativiste . La roue tourne donc et les physiciens « s ’ habituent » à cette étrange ambivalence de notre monde . La « cote » d ’ Einstein remonte : il obtient le prix Nobel de physique en 1921 , « pour ses contributions à la physique théorique et , spécialement , pour sa découverte de la loi de l ' effet photo-électriques ». En 1923 Millikan obtient le prix Nobel , « pour ses travaux sur la charge élémentaire de l ’ électricité et l ’ effet photo-électrique ».
RÉFÉRENCES
ÉPILOGUE En 1926 se met en place la Mécanique Quantique , avec des règles de quantification rigoureuses , telle qu ’ elle est enseignée maintenant . En l ’ appliquant au champ électromagnétique , on trouve que les états propres de l ’ énergie du rayonnement sont des « états nombre », contenant un nombre entier de particules qui ont toutes les propriétés des quanta de lumière d ’ Einstein . En 1963 R . Glauber introduit les états quantiques dits « cohérents » ou « quasi-classiques » qui permettent de mettre sur des bases théoriques solides l ’ approche « semi-classique » où la matière quantifiée interagit avec le champ classique des équations de Maxwell , ainsi que la description de l ’ interaction matière-lumière en termes de processus élémentaires photon par photon . Elle réconcilie en quelque sorte les tenants de l ’ approche ondulatoire et corpusculaire . Outre la mise au point progressive d ’ une théorie rigoureuse de la dualité onde-corpuscule pour la lumière , connue sous le nom d ’ « optique quantique », de la dualité onde-particule , il y a une leçon à tirer de ces recherches : on a là un exemple parfait du primat de l ’ expérience sur la théorie en physique : Millikan , réticent , fait tout ce qu ’ il peut pour montrer que l ’ équation d ’ Einstein n ’ est pas conforme à l ’ expérience . Mais ses mesures montrent tout le contraire , et Millikan se rend à l ’ évidence , malgré son opposition initiale . Mieux , ses observations minutieuses donnent d ’ autant plus de poids à l ‘ explication d ’ Einstein !
[ 1 ] The autobiography of Robert Millikan , Arno Press ( New York 1980 ) [ 2 ] A . Einstein , Ann . der Physik 17 , 132 ( 1905 ) [ 3 ] R . Millikan , Phys . Rev . 7 , 355 ( 1916 )
[ 4 ] R . Millikan , The electron and the light-quant from the experimental point of view , Nobel lecture May 23 ( 1924 )
[ 5 ] G . Grynberg , A . Aspect , C . Fabre , Introduction to Quantum Optics , from the semi-classical approximation to quantized light , Cambridge University Press ( 2010 )
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